Un coup de coeur de Marion B.
Mais quand on parle de LA langue justement, de quoi parle-t-on?
Le véhicule sacralisé de l'esprit d'un peuple qu'il faudrait sanctuariser? Ou bien le produit transitoire et remuant d'une histoire particulière?
Ce "déjà-dit" qui précède toute communication, tout discours mais qui cède et évolue sans cesse devant la variété des contextes d'énonciation et de leurs interprétations...
Dans son nouvel ouvrage, Cécile Canut nous met face à ce qui relève encore d'un impensé : la langue française ne serait pas un objet extérieur, figé dans son essence mais bien le double produit de nos pratiques langagières d'une part et d'une "fabrication" politique et normative d'autre part.
Fabrication que l'on pourrait historiquement dater avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en 1539 par François 1er et qui impose "la fin de l'écriture des actes juridiques en latin au profit d'un "langage maternel" qui n'existe pas encore"...mais que l'Académie française s'ingéniera à créer et fixer les siècles suivants.
Affirmer, à travers les institutions, la supériorité des normes qui régissent la langue aux dépens de la vitalité de la parole, serait imposer tout à la fois une forme de contrôle et d'exclusion sociale qui s'exprime différemment selon les contextes et les époques. Sujets ou citoyens d'un royaume/Etat français centralisé devant abandonner leur "patois" de gré ou de force, peuples colonisés assujettis à la dichotomie indigène/civilisé (dialecte archaïque/langue du progrès universel), individus en marge (jeunes, pauvres, artistes aux langues populaires) qui ne se plient pas à cette verticalité, tous font l'expérience concrète comme symbolique d'un rappel à "l'ordre-de-la-langue" devenue "un facteur de hiérarchisation sociale et, pour tout dire, de divisions des individus".
S'appuyant sur son travail de sociolinguiste qui considère le langage 'comme une activité langagière", et notamment sur son travail de recherche en Afrique de l'Ouest, remettant nos conceptions sur la langue en question, "Langue" est un texte à l'image de son titre : ramassé et percutant, évoquant dans son sillage tout un champ de possibles émancipateurs.