Un coup de coeur de Anthony G.
Selon l’auteur, la plus fondamentale des différences se situe au plan du verbe et in fine de l’affect. Pour M., que l’on pourrait aussi assimiler à la figure du grand-remplacé de Paul Conge, la guerre des idées est avant tout une guerre des mots. La bataille idéologique est dialectique et rhétorique avant tout. La langue est ainsi comme vidée de sa substance. Le verbe est autoritaire : il permet la généralisation, la punchline, le bon mot et l’abstraction. Il est « faux dans le détail mais vrai en gros ». Il crée l’idée bien plus que l’idée ne le crée. Surtout, il n’est jamais concret et contourne le désordre du vivant, l’incertain et la nuance. Il fonctionne comme un déni du réel. Il n’a aucune réalité sociale. En somme, M. et consorts aiment à planer au dessus des nuages et manier la confusion des mots quand François Bégaudeau se préfère terre à terre, du côté des sujets sociaux.
Une fois ces positions clarifiées et les différents exposés au grand jour, ce dernier s’attelle, dans un second temps, à parler de son camp, depuis son camp. Il y déplore une certaine tendance à l’indignation sans effet. « S’indigner d’une injustice est plaisant car cela vous met du côté des justes. Quel bonheur que ce malheur qui m’offre une bonne cause. L’indigné ment parce qu’il dissimule sa jouissance d’être du bon côté. » À ceci, il oppose une politique affirmative qui donne tout son sens au titre Notre joie et pourrait en être le mantra. « La politique affirmative ne se laisse pas assombrir, affaiblir, indigner, ulcérer par le spectacle des dominants. Elle ne s’avilit pas à les juger, n’épuise pas ses cartouches à leur intenter des procès. Elle n’a pas besoin d’eux comme appui négatif. Si le médiocre est ce qu’en dit Nietzsche, celui qui ne se construit que contre, elle n’est pas médiocre. Rivée à sa plénitude et non aux manques de l’adversaire, elle se documente à l’envi sur ce que nous avons pu. »
En analysant avec tant d'acuité les incohérences, les ressorts psychologiques et les mésusages de la langue, François Bégaudeau nous invite donc à plus de vigilance et de précision quant à notre façon de manier les mots et les concepts. À l'ère de la confusion et des colères permanentes, Notre joie résonne comme un appel à se situer et situer ses adversaires (idéologiques) avec clarté. Un véritable manuel d'hygiène intellectuelle brillamment pensé et brillamment écrit.
« Ces lignes ne mettront en lutte personne mais elles sont, pour la lutte, le mieux que je puisse faire. »