Un coup de coeur de Isabelle P.
Jennifer Kerner est alors jeune étudiante fraîchement arrivée à Paris courant quelques castings cinématographiques lorsqu'elle perd son compagnon d’une overdose. Comment faire face au chagrin et à l’effondrement de son monde irrigué alors par la plénitude de ce jeune amour? Comment accepter ce qui ne se conçoit pas? Comment reprendre le cours de sa vie?
La jeune femme débute alors un voyage en Inde puis à travers le monde qui d’année en année se transformera en une véritable vocation puisqu'elle deviendra archéologue et plus précisément tanatho-archéologue, spécialisée dans les rites funéraires.
Jennifer Kerner nous raconte comment de tous temps les humains ont négocié cette frontière qui sépare les vivants de leurs morts. Le deuil est une succession d’étapes qui tend à concrétiser le caractère définitif de la perte, rendre le respect dû aux morts, les laisser partir et donner la force de continuer à vivre à ceux qui restent. Dans cet art de l’adieu, les pratiques sont très inventives et ingénieuses et s’inscrivent dans des représentations culturelles très construites. Passionnante, Jennifer Kerner nous fait ainsi découvrir différents rituels et leurs fonctions avec ce talent narratif qui nous avait tant plu dans “Lady Sapiens”.
Mais ce livre n’est pas qu’un livre d’histoire et de sciences : c’est un récit personnel, poignant car s’y mêle le propre cheminement de l’auteur dans son chagrin et son expérience du deuil. Jennifer Kerner entretient un dialogue permanent avec “J”, ce premier amour perdu. Tout le long de l’ouvrage, elle s’adresse à lui, lui livre l’état des ses pensées, de ses états d’âmes.
“Parfois encore aujourd’hui, je te pleure soudainement comme si je t’avais perdu hier (...) Quand ces crises éclatent, les gens qui m’entourent comprennent instinctivement que j’ai perdu le plus grand amour de ma vie. Mais la violence de la douleur est telle que personne ne pourrait comprendre si j’expliquais que ça fait déjà quatorze ans que tu es parti . Quatorze ans, trois mois et dix-huit jours (...). Alors je suis prise de honte, je dis que tu nous a quittés il y a quelques mois. On me répond toujours: “Dans quelques années ce sera passé.” Alors je pleure plus fort parce que ça ne passe pas”.
Appréhender les rituels funéraires, c’est comprendre avant tout comment les autres ont apaisé leur chagrin. Dans son dialogue avec J, Jennifer Kerner questionne ainsi les chemins trouvés par d’autres pour atténuer la douleur et tendre vers l’acceptation.
Même si depuis l’autrice a pu construire une famille, le deuil de ce premier compagnon est un moment décisif de sa vie. S’il fut une fin, il fut aussi un point de départ à l’origine de sa vocation professionnelle. Ce qui fait de ce texte un formidable livre de chagrin et d’espoir.“Il faut savoir oublier “un peu” pour que la vie reprenne ses droits.”