Un coup de coeur de Jérémy Gadras
Si l’on y trouve un plaidoyer pour la mélancolie ou l’état dépressif considérés comme du génie, un pamphlet contre la psychiatrie et les psychiatres, c’est avant tout le cri poétique d’un écrivain supplicié qui transfert dans la lecture des œuvres de Van Gogh sa vision mystique de l’art, sa haine d’une société qui méprise les “aliénés” et qui les “étrangle dans les asiles”. Ainsi, la folie de Van Gogh ne serait que le produit d’une construction sociale, sa marginalité et son génie sa propre condamnation. Artaud y voit dès lors son alter ego, son gémeau - acteur possible de son “Théâtre de la Cruauté” -, et use de toute sa verve et prose impérieuse pour dépeindre subjectivement toute la beauté de certaines œuvres d’un artiste sacrifié, dont le Champs de blé aux corbeaux.
Paru en décembre 1947, quelques mois avant la mort d’Artaud, ce texte n’a rien perdu de sa fougue et son lyrisme sombre, et se dévoile comme un long poème rythmique motivé par une prose qui rappelle au lecteur les textes écrits à Rodez (les fameux Cahiers d’Ivry bien moins structurés) où l'auteur fut interné et où il subira plusieurs séances d’électrochocs.
Un bijou littéraire dont on ne se lasse jamais de relire, toujours aussi frappant et envoûtant, il incite tout autant à découvrir les œuvres de Van Gogh qu’il invite à lire les textes et poésies d’Artaud.
“ Ces corbeaux peints deux jours avant sa mort ne lui ont, pas plus que ses autres toiles, ouvert la porte d’une certaine gloire posthume, mais ils ouvrent à la peinture peinte, ou plutôt à la nature non peinte, la porte occulte d’un au-delà possible, d’une réalité permanente possible, à travers la porte par van Gogh ouverte d’un énigmatique et sinistre au delà.”