Un coup de coeur de Mollat
Non, En Mer, qui se passe quasi exclusivement sur les flots dangereux de la Mer du Nord, est un roman qui met aux prises un homme, Donald, avec son démon principal : la fuite, et si chaque épisode nous renvoie à l'imagerie du marin solitaire, c'est pour mettre à profit ce paradoxal lieu clos qu'est un voilier, petit élément au milieu de la vastitude qui confronte au pire et au meilleur de soi ceux qui ont choisi d'y trouver refuge. Car les trois mois de congés sabbatiques que s'est octroyé Donald pour échapper à une entreprise dans laquelle on n'a jamais vraiment compté sur lui représentent avant tout une période d'exclusion volontaire, loin de la fébrilité du travail et d'une famille pourtant aimée. L'épouse Hegar, avec un soulagement mal dissimulé, la fille Maria, sans trop comprendre, voient donc s'éloigner un homme dans la force de l'âge qui a besoin de se réinventer une apparence de destin. Pour conclure son périple au long cours il a persuadé sa femme de laisser leur fille passer les deux derniers jours à bord, moments d'intense complicité qui lui permettront, espère-t-il, de renouer le lien distendu avec son enfant de 7 ans, petite fille décidée et questionneuse. Mais il y a loin entre le fantasme et la réalité, et on ne joue pas impunément avec les éléments : transporter un enfant sur un petit voilier rend l'embarcation encore plus précaire. La mer se tait, les nuages ne dévoilent pas toujours leurs intentions, l'activité est intense sur l'eau où des radars vous voient passer sans parfois comprendre ce que vous voulez faire, la solitude est constamment menacée par l'irruption d'un danger car le héros n'est pas dupe et sait se souvenir que les océans se moquent des hommes qui s'y abiment dans son indifférence éternelle. Usant d'une langue simple et entêtante, Toine Heijmans, qui refuse les effets pour mieux nous préparer à l'irruption d'un possible drame, fait de nous les témoins inquiets d'une aventure décisive. Le travail de réflexion que Donald accomplit sur son parcours s'accompagne d'un lent effondrement que seule la petite fille semble pouvoir empêcher.
Autant ne pas en dire plus sur le crescendo narratif qui contraint le lecteur, tendu, à ne plus lâcher ces pages. Homme libre toujours tu chériras la mer ? Si tu en as la force, conclue avec beaucoup de puissance Toine Heijmans, qui signe là un remarquable premier roman.