Un coup de coeur de Mollat
L'auteur de ce singulier aveu à un journaliste de People n'est autre que Jack Pine, monstre sacré du cinéma qui s'apprête à retraverser en une nuit aussi initiatique qu'agitée l'envers du rêve hollywoodien. Persuadé grâce à l'obtention récente d'un Oscar de toujours tenir le haut de l'affiche, il offre cependant à son visiteur le pitoyable tableau d'une star déchue dépendante de drogues et d'alcools qui nous valent quelques mémorables intermèdes de comas entrecoupées de vingt-sept flash-backs vertigineux et cruellement révélateurs. Si faire l'acteur lui assure l'illusion d'être pleinement vivant, c'est sans conteste à « son meilleur et plus vieil ami » Buddy Pal qui a été son mentor depuis cette fameuse nuit pendant laquelle ce dernier lui a cédé sa place dans la voiture auprès de la jolie Wendy qu'il doit son triomphe le plus durable. Plusieurs décennies ont passé, Buddy Pal est plus que jamais fidèle malgré les abus et désabusements du métier, et Jack va éclaircir à son insu la trouble relation qu'il entretient avec cette « doublure » parfaite. De son ascension nourrie d'opportunisme (coucheries en tous genres, trois mariages foireux etc) à sa descente aux enfers digne des plus grands mélos, Jack Pine ne va rien omettre à son interviewer Michael O'Connor, mais le plus beau rôle est sans conteste soufflé par celui-ci qui recueille, patiemment dans l'ombre, les derniers soubresauts de cette âme damnée, ni tout à fait pathétique, ni tout à fait inquiétante, à l'image des deux facettes de l'œuvre prolifique et protéiforme du « monstre » Westlake.
Les éditions Rivages entreprennent en effet de publier l'ensemble de ses romans (plus d'une centaine), certains écrits sous pseudonymes, le plus célèbre restant Richard Stark avec les déboires du cynique Parker dont le huitième volet, Breakout, vient de paraître en format poche (Rivages/noir). Dans sa veine moins sombre, nous sommes nombreux à ne pas résister au charme du double fantaisiste de Parker, John Dortmunder, cambrioleur au grand cœur désormais aussi culte qu'Arsène Lupin, malchance et loufoqueries en prime. Grâce à la publication simultanée de Voleurs à la douzaine, recueil de nouvelles mettant en scène cet antihéros si attachant, et à la retraduction du deuxième volet de ses aventures impayables (dans tous les sens du terme) au titre qui tient toutes ses folles promesses, Comment voler une banque (initialement paru sous le titre Le paquet à la Série noire qui était épuisé depuis de nombreuses années), Donald Westlake nous offre une fois de plus toute la pleine mesure de son talent avec Monstre sacré, roman connu depuis 1989 aux États-Unis. Que cachent donc finalement les paillettes et le masque tragi-comique affiché par le mythique Jack Pine ? Comment son autobiographie (enfin autorisée puis incontrôlable) va-t-elle se retourner comme si elle était manipulée, dans l'ombre, par un mauvais et génial scénariste, ironie grinçante oblige ? Crédules mais chanceux lecteurs qui en redemandons, Westlake sait ménager son suspense jusqu'au feu d'artifice final et nous régaler d'autres inédits à paraître…