Enquête historique, ethnologique et journalistique en forme de journal intime sur une des curiosités de Strasbourg : la cloche de dix heures qui, chaque soir depuis le Moyen Âge, invite les étrangers et les juifs à quitter la ville. ©Electre 2024

Depuis des siècles, chaque soir, la cloche de 10 heures de la cathédrale de Strasbourg fait vibrer l'air de la ville et les sens de ses habitants. Rassurante pour les uns, lugubre pour les autres, cette cloche de la nuit - qui, selon la rumeur, a été créée au Moyen Age pour inviter les juifs et les étrangers à quitter la ville - révèle les ombres d'une histoire dérangeante à l'aube du XXI^e siècle.

Face au vide des archives et au silence de la plupart des historiens, Nicole-Lise Bernheim a mené son enquête autour de la cathédrale de Strasbourg, interrogeant, forçant les silences, réunissant indices ténus et perceptions fragiles.

Et c'est ainsi que, entre non-dits, peurs et fantasmes, cette pénétrante radiographie d'une rumeur - qui est aussi un très sensible journal intime - en dit beaucoup sur une ville, une région, leur histoire et sur la difficile coexistence des cultures et des religions.

«La nuit est tombée, la pleine lune s'annonce pour bientôt.

22 heures

Un carillon net, métallique, celui du temps, sonne dix coups dans l'indifférence. S'y ajoute un autre, plus discret, léger. Je n'identifie pas sa provenance.

22 h 10

Est-ce le couvre-feu ? Les coups rapides, forts, imparables, inquiétants, empêchent de dormir, durent, durent. Ils semblent s'adoucir, diminuent puis reprennent. Le son vibre dans la poitrine, fait frissonner.

Depuis une fenêtre du second étage de la Maison Kammerzell, un visage se tend vers le beffroi. Le client écoute le son : métallique, violent. Le grondement du mécanisme devient aussi envahissant que le bruit d'un moteur. Les vibrations déclenchent la sirène d'une voiture.

Cette sonnerie me tourmente. Elle recommence, interminable. Là-haut, le client du restaurant s'est lassé, est retourné à son foie gras. La cloche remplit l'espace, comme un appel. C'est fini. Non, elle reprend pour une ultime résonance.»

Nicole-Lise Bernheim