Lire la Quatrième de couverture
Réduire la Quatrième de couverture
«Ce n'est qu'au réveil que le cerveau, redevenu conscient, constate que vous avez forniqué
avec une voiture à bras ou une boîte de radio, mais de façon parfaitement acceptable par
votre cerveau de rêveur.»
Le texte, «dépouillé à l'absurde, se repose sur le dessin de toutes les précisions
pittoresques, qui porteront cette absurdité jusqu'au point où doit se produire le choc en
retour et une destruction de l'absurde.» L'écriture lapidaire de Bofa réduit ses contes à une
action imaginaire, ni datée ni située, et privée de tout élément plastique. Le dessin
transpose l'élément littéraire «dans un autre plan, choisi arbitrairement, comme le décor,
l'époque, les détails mêmes, sans souci de ce texte.» Donnant l'évidence de la vie à l'absurde,
l'image oblige le lecteur à tenir, ne serait-ce qu'un instant, l'absurde pour la norme.
Toute vie et toute mort sont pour Gus Bofa dépourvues de sens. Pareil au patron de la
boutique sur la dune attendant des clients qui ne viendront jamais, l'homme perd son
temps à chercher la réponse à une question qui n'en a pas. La race humaine endure par
habitude, parce que «la vie invivable, ou la vie tout court, est léguée de père en fils, en même
temps que les moyens accumulés peu à peu, depuis des siècles, de l'accepter et de la vivre.»
Comme les gens de Manouque sous la rivière suspendue qui menace de les engloutir,
l'humanité poursuit «sous une sorte de voûte tragique une vie à peu près normale et paisible.»
La mort n'est pas un obstacle à la vie, et à la vie heureuse. Tout le secret est de se
fabriquer une existence sur mesure, au risque de sembler anormal ou provocant aux yeux
du Léviathan, la mécanique sociale qui voit en toute fantaisie le grain de sable potentiellement
fatal. Pour satisfaire son innocente passion du cerceau, le «joueur nocturne» accepte
de passer aux yeux des autres pour un vieux débauché. Mais renoncer à sa liberté pour
rejoindre le groupe est un marché de dupes. Invité au palais du Roi, le géant Krach sacrifie,
par gloriole, sa vraie grandeur qui est d'être géant parmi les nains et d'être seul. Seul et libre.
L'individu embarque, à sa naissance, pour une croisière dont il ignore le but, la durée
et les joies qu'il pourra, ou non, en tirer. Il n'a donc rien à perdre, nous encourage Gus
Bofa, en renonçant au cabotage prudent ou aux expéditions commerciales pour partir «au
long cours vers des pays imaginaires, toute la toile dehors, sans avoir pris souci de lever
l'ancre.» En recréant le monde à notre image, le rêve ou la poésie, lui donnent un sens. Les
enfants ont raison qui, malgré les taloches paternelles, continuent de croire «que les yeux
bleus, les yeux verts, les yeux noirs, voient le monde de couleurs différentes.»
Emmanuel Pollaud-Dulian