Un coup de coeur de Mollat
Plus négligence que mépris, cette attitude nous vaut parfois de manquer de très beaux livres ; il revient alors aux libraires de saisir l'occasion quand elle passe. Voyez S.J.Agnon, récompensé en 1966 du Prix Nobel, auteur à qui l'on doit la reconnaissance de l'hébreu comme une langue moderne et vivante et qu'il est particulièrement difficile de se procurer. Les Belles Lettres et Gallimard tentent conjointement de corriger cette injustice, le premier éditeur avec un gros opus, La dot des fiancées, le second avec un court texte d'à peine plus de cent pages, A la fleur de l'âge.
L'argument de ce roman est simple, presque minimal : dans une région reculée de l'empire austro-hongrois, au sein d'une communauté juive qui maintient ses traditions, la jeune Tirtza vit dans le souvenir inquiet des derniers jours de sa mère, Léa, qu'elle a surprise en train de brûler des lettres avant de mourir. L'âge adulte approchant, elle essaie de comprendre, se renseigne et découvre son secret : Léa a aimé un jeune intellectuel viennois de passage qui a tout abandonné pour elle, mais le refus du père de les voir se marier a mis fin au rêve. Meurtrie par l'absence et bouleversée de comprendre l'indicible mélancolie de Léa, Tirtza va lier sa vie à ce souvenir douloureux et prolonger malgré elle une souffrance que le temps n'a pas réussi à abolir.
Racontée en peu de mots, avec un art de l'ellipse qui confine au génie, ce récit possède la force d'une parabole et l'éclat d'une pierre précieuse.