Un coup de coeur de Mollat
A Mortagne, petit village de 1219 âmes, on travaille soit à la vigne soit à la scierie, les deux ressources du coin. Le métier se transmet de père en fils. Et naturellement, on déteste celui qui travaille de l'autre côté. Sans raison, c'est comme ça, c'est viscéral. En revanche tous les hommes sont des chasseurs, sans exception, peu importe le métier. Il y a même un dicton : « je suis un chasseur né, je ne mourrai pas gibier ».
Martial, un ado du village est à part. D'abord il part à l'internat pour apprendre la mécanique et essayer de faire un autre métier. Cette attitude ne lui vaut d'ailleurs que du mépris de la part de sa famille et du village. Ensuite, il ne trouve pas d'intérêt fondamental à la chasse. Et surtout, il ne se moque pas du garçon un peu simplet qui n'a de cesse de répéter « pauvre vache ». Au contraire, pour un peu ils deviendraient presque amis. Il est calme Martial, il est pondéré, il sait que son frère et son pote Frédo ne sont que des petites frappes brutales et ignorantes. Rien ne le prépare à cela... mais parfois la colère est telle que plus rien n'a de sens ni de valeur.
Pour cet album, Alfred a adapté le texte de Guillaume Guéraud paru dans la collection DoAdo au Rouergue en 2006. Aucune concession n'y a été faite, on ressent la même injustice, la même aversion pour tous ces gens, le besoin de fuir cet endroit. Les illustrations sont épatantes, surtout les personnages qui expriment tant de haine, de peur, d'incompréhension... Chacun a un regard qui lui est propre et on craint littéralement Frédo, le contremaître alcoolique, pervers et violent. Et alors qu'on a confiance dans la bouille ronde de Martial, on distingue petit à petit les changements d'humeur, de traits, de regards. Et tout bascule.
Comme pour le roman, il n'y a qu'un mot pour définir cette BD : extraordinaire.