L'auteur explore ici une nouvelle fois les questions de l'héritage familial et de la transmission, mais cette fois en se penchant sur l'histoire de son père, de sa famille paternelle et de ses origines bretonnes.
La discussion débute sur le travail minutieux de l'autrice, une véritable archéologue du passé familial. À partir des quatre carnets de son grand-père, qui a tenu un journal intime sur ses dernières années, Anne Berest se lance dans une enquête littéraire. Elle raconte comment ces archives, aussi ténues soient-elles, l'ont menée à d'autres découvertes, des articles de journaux anciens aux films Super 8 retrouvés dans des cinémathèques, qui lui ont permis de reconstituer l'ambiance, les lieux et les mœurs de ses ancêtres. Ce processus s'apparente à une transgénéalogie, une quête d'identité qui a commencé il y a vingt ans, à la suite d'une dépression. L'écrivaine, alors en quête de sens, a interrogé son arbre généalogique en demandant comment lever les obstacles à son désir d'écrire. C'est de cette expérience et de ce "territoire d'écriture" que naîtront ses romans.
Au-delà de l'enquête, l'autrice s'interroge sur la notion de la transmission silencieuse dans sa famille paternelle, marquée par la culture bretonne. Elle met en lumière l'amour inexprimé de son père, un grand scientifique, qui lui a pourtant confié, par e-mail, une mission : écrire l'histoire de sa famille. Une invitation à mettre des mots sur les non-dits et à combler le fossé entre les générations. Pour l'écrivaine, ce travail est une forme de réconciliation et une manière de "faire famille", de créer du lien avec les siens tout en restant fidèle à soi-même. Elle utilise sa propre histoire pour toucher à l'universel, espérant que son livre agira comme un "soin" pour ses lecteurs, les invitant à s'interroger sur leurs propres relations familiales et sur la place de l'amour dans leur vie.
Anne Berest explore aussi la notion de "bifurcation", ce besoin de prendre un chemin différent de celui tracé par ses parents. Elle le lie à son enfance avec des parents "soixante-huitards" qui prônaient une éducation particulière, sans règles strictes, mais qui a paradoxalement imposé d'autres contraintes. Cette réflexion est aussi une invitation à rire des paradoxes de son époque.
Pour conclure, l'écrivaine rappelle que son travail est un effort collectif, une œuvre qu'elle construit avec les vivants (son père, ses sœurs, des amis comme Geneviève Brisac ou Olivier Rolin) et les morts. Elle ne se considère que comme un simple "conduit de transmission". Elle évoque la culpabilité comme moteur de sa vie et de son écriture, une culpabilité dont elle hérite et qu'elle souhaite transformer en un récit qui offre la possibilité de faire la paix avec le passé. Son travail d'écriture est alors une manière de redonner de la chair, de la vie et de la complexité aux faits historiques et aux arbres généalogiques, afin de transmettre l'histoire aux plus jeunes et de les réconcilier avec elle.