Aude-Marie Lalanne Berdouticq, maîtresse de conférences à Sorbonne Université, explore ici une facette essentielle et méconnue de la Première Guerre mondiale : la sélection médicale des soldats en France et au Royaume-Uni. Son ouvrage, issu de sa thèse, s'inscrit dans le renouveau historiographique du centenaire de 14-18, qu'elle a vécu comme une véritable opportunité pour la diffusion du savoir historique. Le livre examine comment les corps médicaux français et britanniques, malgré des préparations différentes ont dû faire face à l'ampleur inédite et imprévue du conflit. L'auteure met en lumière une perte de la rigueur dans la sélection dès les premiers mois de la guerre, avec une accélération des examens et une modification officielle, parfois "scientifique", des critères d'aptitude. Les seuils morphologiques (taille, âge) sont abaissés, conduisant à l'incorporation de jeunes conscrits de plus en plus jeunes et à la réévaluation de "réformés" ou "exemptés". Les chiffres sont éloquents : le taux d'aptitude passe de 2/3 avant 1914 à plus de 90 % pour les classes d'âge mobilisées pendant la guerre. Aude-Marie Lalanne Berdouticq montre la tension entre l'impératif militaire du nombre et les normes médicales. Elle révèle que, contrairement à une image monolithique, le corps médical n'était pas unanime : dès le début, des médecins s'inquiètent des conséquences sanitaires de cette politique, notamment l'irruption de la tuberculose dans les rangs. En France, la réaction vise à rétablir la sévérité de la sélection pour des raisons prophylactiques. Au Royaume-Uni, la contestation est plus large, impliquant la société civile et les médias, et aboutit à une réforme d'ampleur où la sélection est confiée à des médecins civils, soustraite à l'influence militaire. L'ouvrage offre également une histoire culturelle et sociale de l'examen médical, explorant le vécu des soldats. L'auteure décrit le caractère solennel et parfois traumatisant de ce "conseil de révision", un moment de nudité publique devant un aéropage d'autorités, investi par les jeunes hommes et leurs communautés d'une signification profonde sur leur santé, leur statut social et leur virilité. L'examen est un moment de construction de l'identité masculine normée, bien que les critères médicaux réels de l'époque se contentent d'une "conformité génitale à minima" pour assigner sans ambiguïté au sexe masculin, seul habilité à porter les armes. Enfin, le livre aborde le statut des blessures de guerre et leur évolution, de la stigmatisation initiale du corps invalide à leur reconnaissance comme marque de l'effort et de la victoire. La discussion se prolonge jusqu'à l'époque contemporaine, en soulignant la permanence du rôle de la médecine militaire dans l'optimisation des forces armées, malgré les changements technologiques des guerres modernes. L'auteure conclut sur la mémoire très vivace de la Grande Guerre en France et au Royaume-Uni, nourrie par des recherches intimes et une émotion toujours palpable.