ECHO - Eva Illouz - Explosive modernité : malaise dans la vie intérieure

Dans son livre, Eva Illouz explore les différents signes du malaise qui affectent notre vie intérieure. Elle évoque notamment le sentiment de colère diffus et mal orienté, ainsi que la présence silencieuse d’émotions taboues comme la honte et l’envie. L'analyse de ces émotions ne se limite pas à une simple psychologie, mais révèle une "architecture émotionnelle" propre à la modernité, où les émotions sont à la fois sources d'ambivalence morale et d'une puissance inédite.

La sociologue insiste sur la prise au sérieux des émotions, qu'elle juge caractéristique de notre époque. Contrairement aux philosophies anciennes prônant le contrôle ou l'extirpation des passions, la modernité encourage leur expression au nom d'un idéal d'authenticité. Ce phénomène, alimenté par le capitalisme et la culture de la consommation, rend les émotions "explosives", car elles deviennent des "points de référence absolus" non négociables, pouvant aller jusqu'à déjouer la raison et notre propre intérêt.

L'entretien aborde également la manière dont la littérature, et plus largement la fiction, a historiquement servi de lieu d’apprentissage et de déchiffrage des émotions. Aujourd'hui, cette fonction est en partie supplantée par les réseaux sociaux, qui proposent une "narrativité" différente, plus fragmentée et déconnectée du sens.

Eva Illouz critique le développement personnel et la psychologie positive, qui, en promouvant l'idée d'un contrôle total sur nos émotions et notre destin, créent un leurre potentiellement aliénant. Elle souligne que cette "misère de position", pour reprendre un concept de Pierre Bourdieu, conduit à une frustration quand le contexte social et économique se révèle être un obstacle bien plus puissant que la seule volonté individuelle. Elle met en lumière les sentiments d'envie, particulièrement dans une société de consommation basée sur l'apparence et le regard des autres.

Le débat s'élargit aux grandes utopies de la modernité, notamment celle du libéralisme et du contrat social, confrontées à la réalité de leur déception. Eva Illouz peint le tableau d'une jeunesse naviguant dans un monde où la seule constance semble être le changement permanent imposé par la "mode" capitaliste.

En conclusion, Eva Illouz aborde les progrès émotionnels accomplis, comme la meilleure compréhension des mécanismes de manipulation ou le refus de l'humiliation et de la honte. Pour la sociologue, ces avancées témoignent d'une conscience accrue des souffrances d'autrui, marquant une évolution positive dans nos rapports sociaux.