Ce nouveau roman d'Agnès Desarthe nous transporte dans un petit village normand où un événement extraordinaire survient : la mort est subitement "au chômage", suspendue, comme sous l'effet d'un sortilège. Pendant un temps indéterminé, plus personne ne meurt, bouleversant le quotidien de ses habitants. Ce point de départ fantastique est le cadre d'une exploration profonde des vies et des secrets du village.
Le récit suit un ensemble de personnages liés par leur appartenance à l'harmonie municipale, entre fanfare et orchestre. Tous musiciens, ou proches de musiciens, ils se préparent pour le concert de Noël, mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Le roman plonge dans les coulisses de leurs existences, révélant les secrets, les blessures et les énigmes personnelles qui les habitent. Au fil des pages, les histoires individuelles s'éclairent mutuellement, se connectant comme les instruments d'un orchestre pour former une mélodie cohérente et pleine de sens, permettant de résoudre les mystères.
La composition du livre est singulière : chaque chapitre se concentre souvent sur un duo de personnages (mère-fils, amis, amants), créant des récits que l'on croit clos. Cependant, des éléments de chapitres précédents ressurgissent dans les suivants, éclairant de nouvelles facettes des personnages et révélant des vérités insoupçonnées. Le passé de certains éclaire le présent d'autres, invitant le lecteur à un jeu de piste temporel et relationnel. Agnès Desarthe a conçu cette structure complexe avec une précision presque "scientifique", transformant le défi en un "jeu" stimulant où elle s'est elle-même prise. Elle joue avec la nature même de la vie villageoise, où chacun croit tout savoir sur l'autre, mais où les secrets parviennent à persister.
La musique, passion fondamentale dans la vie de l'auteure, est au cœur du roman. Après l'avoir longtemps tenue à l'écart de ses écrits, elle a ressurgi dans ses œuvres récentes, notamment via une biographie de pianiste jazz. Ici, elle devient un thème central. Le titre, "L'oreille absolue", fait référence à cette capacité musicale rare de reconnaître instantanément les notes. Mais il est aussi une métaphore de la posture de l'écrivaine : prêter une oreille attentive et juste aux dialogues et aux destins apparemment ordinaires de la vie du village, pour en capter les subtilités et les profondeurs. Agnès Desarthe s'efforce d'avoir cette "oreille absolue" pour rendre compte avec passion des existences qui l'ont fascinée.