Alain Ayroles partage les origines de sa bande dessinée, "La terre verte", un récit qui prend place au Groenland à la fin de la colonie Viking (fin du XVe siècle). L'auteur a d'emblée souhaité donner à cette histoire une tonalité tragique et crépusculaire, s'accordant avec une ambiance shakespearienne. Il voit dans ce cadre historique l'occasion idéale de mettre en scène un personnage shakespearien.
Pour illustrer ce récit dans le Groenland médiéval, Alain Ayroles a très vite pensé à Hervé TRL, non seulement pour son talent de dessinateur, mais aussi et surtout parce qu'il est un spécialiste du Groenland en bande dessinée. Hervé TRL avait déjà dessiné plusieurs histoires dans ce contexte et s'était même rendu sur place, vivant quelque temps au Groenland en compagnie de l'écrivain danois Yornil. Cette expérience physique des lieux a été un atout jugé "incroyable" par Alain Ayroles, car elle permet de retranscrire une atmosphère palpable dans la BD : on "sent le froid", l'immensité, le vent, et la majesté austère et parfois inquiétante des paysages.
L'auteur aborde ensuite son travail sur le langage dans le scénario, qui dépend toujours de l'époque du récit. Si l'on pense aux contraintes d'une histoire se déroulant au Moyen Âge, au XVIIe ou au XVIIIe siècle, il y a ici une spécificité. Ne sachant pas comment parlaient les Scandinaves du XVe siècle, mais inspiré par la tonalité shakespearienne, Alain Ayroles a puisé dans le phrasé de Shakespeare. Il a utilisé une prose qui sonne shakespearien, sans reprendre littéralement les vers iambiques anglais (quasiment intraduisibles en français), mais en s'orientant dans cette direction.
Plus profondément, "La terre verte" revêt un aspect cathartique pour Alain Ayroles. Il y a vu une façon d'exprimer des angoisses contemporaines, qu'elles soient climatiques ou politiques (notamment face à la situation géopolitique actuelle). L'intrigue met en scène un personnage ivre de pouvoir, cherchant à s'en emparer et à le conserver par tous les moyens, quitte à mener des peuples entiers vers la guerre ou la catastrophe. Ce dirigeant est l'incarnation de ces figures à l'hubris démesuré. Ce thème se trouve en filigrane de l'œuvre, abordant également des problématiques écologiques et faisant écho à l'actualité, comme le désir récent d'un certain dirigeant de s'emparer du Groenland, tout comme le héros de la BD.
Finalement, raconter un récit historique est pour Alain Ayroles une forme d'évasion qu'il souhaite transmettre au lecteur, un voyage géographique et temporel. C'est cependant un exercice exigeant qui nécessite une documentation approfondie pour conférer de la crédibilité à l'histoire. L'auteur ne cherche pas l'exactitude des faits réels, mais s'emploie à restituer l'atmosphère et l'esprit de l'époque. Concernant la fin de la colonie Viking au Groenland, les informations historiques sont très limitées, ce qui a permis au scénariste de "broder avec de la fiction" pour mener à bien son travail.