Arthur Guerber, lauréat du Prix Jacques Ellul 2025 pour son ouvrage, propose une analyse dense et passionnante de l'idéologie du progrès. Ancien étudiant en médecine marqué par la culture libertaire, l'auteur critique sévèrement la formation scientifique, qu'il juge saturée d'une idéologie positiviste et d'un "rationalisme naïf", dénuée de culture épistémologique et de sociologie des sciences. Le livre, de la forme d'un essai de synthèse, vise à combler ce manque en explorant la technocritique. L'auteur rappelle qu'être technocritique n'est pas un rejet de la technique (propre à l'humanité), mais une analyse des choix techniques et de la manière dont l'outil peut véhiculer et réifier des rapports de domination sociale, comme l'éloignement entre dirigeants et exécutants.
L'analyse recoupe son expérience de médecin, face aux dérives des technologies médicales et à la "dérive de la médecine" vers un réductionnisme génétique. Il déplore l'oubli de la médecine environnementale historique, mise de côté au profit d'une approche biologique porteuse d'applications industrielles (biotechnologies). Arthur Guerber s'inscrit pleinement dans la pensée de Jacques Ellul. Sa rencontre avec l'œuvre (d'abord Anarchie et christianisme, puis Le Système technicien) lui a révélé le "continent complet" de la réflexion sur la technique.
Il rejoint Ellul dans la critique du technicisme, soit le fait de privilégier la solution technique à tout prix, au détriment d'autres approches (esthétiques, sensibles). L'auteur souligne l'inquiétante convergence, sur la question de l'intelligence artificielle, des discours de dirigeants (Macron, Poutine). L'IA incarne le rêve historique des administrateurs pour le "contrôle des populations" et la "lisibilité complète du social" (projet saint-simonien). Ce déploiement, justifié par l'efficacité, sape les fondements juridico-politiques des sociétés en accordant à la machine un pouvoir injonctif. Enfin, le livre explore l'instrumentalisation des questions environnementales.
L'écologie, devenue consensuelle, sert des intérêts industriels et le "capitalisme vert" (GreenTech). Il décortique l'émergence de l'écologie des systèmes (influencée par la cybernétique et le complexe militaro-industriel) et le rôle politique de l'institution intergouvernementale du GIEC. Face à l'éco-phobie et au fatalisme, Arthur Guerber appelle à l'écologie sociale de Murray Bookchin et à la nécessité de luttes sociales concrètes pour orienter les trajectoires technoscientifiques, restant ouvertes aux résistances.