Bernardo Carvalho nous plonge ici dans un voyage en Amazonie, à bord d'un petit bimoteur, où un père, propriétaire terrien, emmène son fils de 11 ans en vacances. Ce père, d'abord présenté comme un "méchant" qui détruit la forêt, se révèle être un agent de la déforestation, acquérant des terres indigènes grâce à ses liens avec la dictature militaire brésilienne des années 60 et 70. Le roman est en réalité un effort de mémoire du garçon devenu adulte, cherchant à raconter cette histoire à un autre jeune, dans une relation paternelle inversée.

Le récit est hanté par un point aveugle, un moment traumatique dont l'adulte ne se souvient pas, et autour duquel sa mémoire fantasme sans cesse. Ce traumatisme est lié à la période de la dictature militaire brésilienne, une époque où la destruction de l'Amazonie a connu un déclenchement brutal, avec la complicité de l'élite économique et de la société civile. Pour Bernardo Carvalho, c'est le début d'un processus "suicidaire" de destruction, dont la bêtise et l'aveuglement face à la propre mort des générations futures sont particulièrement frappants.

L'auteur s'intéresse à l'ambiguïté des agents de la déforestation, issus de sa propre classe sociale. Plus que la simple corruption et la soif d'argent, c'est cette cécité collective face à un processus autodestructeur qui le fascine d'un point de vue littéraire. Le père du garçon incarne cette contradiction, représentant une élite qui, pour un gain immédiat, compromet l'avenir de ses propres enfants.

La relation entre le père et le fils est au cœur du roman. Elle est "corrompue" et surtout "inversée" : le fils, l'enfant, est contraint de représenter la loi face à un père hors-la-loi. Cette inversion se répète à l'âge adulte, lorsque le narrateur doit, à son tour, raconter l'histoire de cette mémoire à un autre garçon, devenant malgré lui la figure de la loi et de la transmission. Le titre, Les remplaçants, renvoie à cette succession de remplacements et d'inversions de rôles, une variation sur le thème de la substitution et de la continuité des héritages, qu'ils soient traumatiques ou salvateurs.