Emmanuel Carrère - Kolkhoze

Dans une discussion intime et apaisée, l'écrivain Emmanuel Carrère explore les thèmes centraux de son nouveau livre, "Kolkhoze". Contrairement à son travail sur l'uchronie, fondé sur le regret, l'auteur révèle une perspective plus sereine sur la vie et ses choix, affirmant que le réel lui convient tel qu'il est. Cet apaisement, il le relie directement au processus d'écriture de "Kolkhoze", un livre de deuil écrit avec une "tristesse douce, paisible, amicale", dans le sillage de la disparition de ses parents. C'est l'un des livres qu'il a écrit avec le plus de plaisir, le considérant comme une forme de "résurrection de souvenirs" plutôt qu'un adieu à l'enfance. Il y retrouve des souvenirs d'une petite enfance "extrêmement heureuse" qu'il pensait avoir perdus.

L'auteur se voit avant tout comme un portraitiste, fasciné par la singularité des êtres et l'exercice de saisir leur "âme". Dans "Kolkhoze", il dresse plusieurs portraits, dont ceux de ses parents. Il évoque notamment la figure de sa mère, figure publique qui "accrochait la lumière", et celle plus mystérieuse de son père, qui a vécu dans son ombre. La grande surprise du livre a été de voir la figure paternelle émerger progressivement, au point de devenir le personnage principal de la conclusion. Cet entretien met également en lumière l'intérêt de l'écrivain pour la notion de destin, qu'il perçoit comme une approche romanesque de la vie. Il partage sa fascination pour la photographie, qu'il utilise comme une source d'information sur l'époque et les mœurs, constatant avec humour la "grâce" des photos en noir et blanc des années 50.

"Kolkhoze" est un livre qui se nourrit de multiples strates : épopée familiale, récit historique et reportage. Le point de départ a été le travail généalogique méticuleux de son père, dont il a hérité après son décès. L'auteur a ainsi "comprimé" ces recherches pour créer les premières pages du livre, couvrant quatre générations et les trajectoires singulières engendrées par la révolution russe. La conversation aborde aussi la question de l'autocensure, l'auteur confiant avoir volontairement éludé certaines anecdotes pour ne pas blesser ses proches. Il revient sur son processus d'écriture, où les notes prises sur le vif, même si elles sont rarement relues, servent de fondation à sa mémoire du ressenti, nourrissant ensuite le récit. L'entretien se termine sur un projet d'écriture pour l'avenir : la création d'un "tableau" détaillé d'un quartier ou d'une ville, un projet qu'il a conservé "au chaud" et qu'il espère un jour concrétiser.