Dans "A l'assaut du réel", Gérald Bronner explore la volonté humaine, aussi ancienne que l'épopée de Gilgamesh, de transformer la réalité pour la plier à ses désirs. Ce qui distingue notre époque, c'est la combinaison de nouveaux récits et d'outils technologiques qui permettent de concrétiser cette lutte. L'auteur identifie plusieurs stratégies contemporaines pour affronter le réel, qu'il s'agisse de l'éviter, de le corrompre ou d'en assouplir les frontières.

Parmi les formes d'évitement, il cite les Hikikomori japonais qui se retirent du monde, ou les "shifters" qui s'évadent dans des réalités imaginaires par autohypnose. Bronner pointe également la "corruption du réel" à travers la désinformation, l'intelligence artificielle ou le mélange croissant entre fiction et réalité. Cette confusion se manifeste de manière troublante, comme lorsque des individus commettent des crimes au nom de personnages fictifs, ou s'engagent dans des mariages avec eux, les préférant aux "pauvres êtres réels" qu'ils jugent imparfaits.

Plus conceptuellement, l'auteur s'intéresse à la "ductilisation du réel", où des individus remettent en question des catégories traditionnelles comme l'espèce ou l'âge. Il ne se moque pas de ces croyances, mais cherche à comprendre les récits et les outils que notre société met à disposition pour exprimer ces "anomalies".

Selon Gérald Bronner, l'élément central de notre époque est une exigence que le réel se plie au désir individuel, contrairement aux mouvements passés, comme mai 68, où le désir s'inscrivait dans des revendications sociales collectives. Aujourd'hui, cette "dérégulation du désir" s'exprime dans des domaines comme le développement personnel ou la nouvelle pédagogie, cherchant à gommer toute asymétrie. S'il ne déplore pas ce phénomène — le désir étant le moteur de grandes réalisations —, il souligne aussi ses "externalités négatives", citant les travaux de sociologues comme Durkheim et Tocqueville sur le suicide et les frustrations sociales. Cette dérégulation, qui peut mener à des pathologies mentales comme la dépression, est un paramètre clé pour comprendre les mouvements sociaux et les frustrations de notre temps.