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Lauren Bastide - Enfin seule

Pourquoi les femmes sont-elles enfin prêtes pour la solitude ?
Publié le 21/10/2025
Lauren Bastide vous présente son ouvrage "Enfin seule" aux éditions Allary éditions. Entretien avec Sylvie Hazebroucq.
"Enfin seule" est une exploration éclairée de la solitude féminine, que Lauren Bastide érige en véritable manifeste pour l’autonomie. L'autrice distingue d'emblée la solitude-détresse de l'"enfin solitude", cet état de bien-être et de liberté choisi, rendu possible pour les femmes par un contexte historique et politique récent. Ce privilège, récemment acquis, est analysé à travers le prisme de l’enfance et du lieu de retraite : la cabane. Symbole d'autonomie et de créativité, la cabane s'oppose à l'idéal aliénant du foyer, archétype de la femme au foyer et lieu de la surveillance et des violences.

Le cœur de l'ouvrage réside dans la déconstruction du mécanisme de la surveillance intériorisée qui pèse sur les femmes depuis des millénaires. Lauren Bastide expose comment l'histoire — du mariage au couvent — a verrouillé l'existence féminine, maintenant un "utérus sous surveillance". Aujourd'hui, cette surveillance est devenue intérieure : les femmes s'astreignent à rester minces, jeunes et fertiles, empêchant le "relâchement" nécessaire à l'épanouissement.

L'essai s'appuie sur des références psychologiques (Winnicott et Bowlby sur l'attachement) pour affirmer que la capacité d'être seul se construit à deux, par la certitude de l'amour inconditionnel. L'autrice complexifie cette approche avec la sociologie féministe (Eva Illouz, Carol Gilligan), montrant que l'injonction sociale à la romance et la performance du genre (la "voix sociale" qui étouffe la "voix authentique" des adolescentes) entretiennent une insécurité d'attachement chez les femmes.

Lauren Bastide déconstruit les peurs qui maintiennent les femmes au foyer, comme la précarité financière et le danger dans l'espace public. Elle dénonce le mythe du Chaperon Rouge et la peur infondée des agressions en forêt, rappelant que le lieu le plus dangereux pour les femmes reste souvent le domicile conjugal. L'autrice fait le lien avec l'histoire, évoquant le "studiolo Florentin" et l'exclusion des femmes des lieux de pensée. Des figures pionnières, comme Gabrielle Suchon ("Du célibat volontaire", 1700), sont convoquées comme preuves historiques de la résistance féminine.

L'intégration de passages intimes en tutoiement (inspirés du "personal essay" américain) permet d'établir une connexion forte et sororale avec la lectrice, transformant le vécu personnel en expérience politique universelle. Cet échange est une invitation à "se parler bien à soi-même" pour se libérer du "male gaze" et de la performance.

En fin de compte, "Enfin seule" est un appel vibrant à reconquérir l'espace mental et physique. La liberté, selon Lauren Bastide, est la "capacité d'être seule", le moment où l'on cesse de chercher la validation extérieure pour se relier au monde et aux autres par choix, et non par nécessité.
Bibliographie