Laurent Joly - Vichy : histoire d'une dictature : 1940-1944

Cet ouvrage collectif dirigé par Laurent Joly propose une histoire globale et actualisée de Vichy, en s'appuyant sur les apports historiographiques récents et en insistant sur deux axes majeurs : le rôle des acteurs et la réception de l'opinion française.

L'histoire de Vichy est celle d'un engrenage initié par la défaite de juin 1940. Philippe Pétain et son entourage transforment la défaite militaire en une défaite morale de la République. Le régime, proclamé "État Français," est le fruit d'un coup d'État juridique mené par l'audace et la manipulation de figures comme Pierre Laval et Raphaël Alibert, profitant du chaos pour s'octroyer les pleins pouvoirs constituants.

L'auteur insiste sur la nature dictatoriale du régime (suspension des assemblées, absence de contre-pouvoirs, mesures liberticides et anti-juives immédiates), bien qu'il ne s'agisse pas d'un fascisme totalitaire.

Projet Politique et Rupture : Vichy est avant tout une vengeance politique (la Révolution Nationale) menée par une union des droites, qui applique dès 1941 un projet de répression (contre communistes et Juifs) qui n'est pas une réaction à la Résistance, mais un objectif initial. L'invasion de l'URSS en 1941 mène à une première "fascisation" (formule de Virginie Sansico) du régime, qui cherche à s'aligner sur l'Allemagne nazie.

La Haine de Laval et l'Effet Moral : Le tournant s'opère en 1942 avec le discours de Laval ("Je souhaite la victoire de l'Allemagne"). Ce fiasco médiatique, couplé à la livraison des Juifs étrangers durant l'été 1942, provoque l'haine de la population et une rupture morale au sein même du régime. Les protestations publiques d'autorités, comme le Cardinal Gerlier (Primat des Gaules), prouvent le pouvoir de la morale sur la politique. Sous pression, Vichy est obligé de renoncer à la livraison des Juifs français (loi de 1927).

La Désobéissance Massive : Malgré l'adhésion initiale, l'opinion se désolidarise. Si les premières réquisitions du STO (Service du Travail Obligatoire) sont efficaces (250 000 ouvriers au premier trimestre 1943), le mécontentement, alimenté par la défaite de l'Axe et l'organisation des maquis, entraîne une désobéissance massive (baisse du taux de réquisition à 5% début 1944). Après le débarquement allié en Afrique du Nord (novembre 1942), Vichy conserve une marge de manœuvre, choisissant jusqu'au bout la surenchère collaborationniste et n'est jamais un simple "état croupion".

L'Épuration : L'épuration, massive mais décevante (ex. : acquittement de René Bousquet en 1949), s'est focalisée sur la loyauté et le complot, laissant sous les radars le crime de bureau, qui ne sera jugé qu'avec les procès des années 1980-90.