Lise Charles - Paranoïa

Lise Charles met ici en scène Louise Milton, ancienne enfant star d'une série télévisée brutalement arrêtée. Le récit, mené par Louise elle-même, explore son difficile retour à une vie lycéenne "normale". Incapable de décoder les codes sociaux et les plaisanteries de ses camarades, Louise développe un sentiment de décalage qui dégénère en une véritable paranoïa : elle est convaincue d'être la cible de moqueries et d'être filmée à son insu. C'est l'histoire d'une actrice qui ne parvient plus à jouer son rôle dans la vie ordinaire.

L'auteure, qui utilise le pseudonyme Marianne Renoir pour ses ouvrages jeunesse, tisse des liens entre ses différentes œuvres. Ici, la mère de l'héroïne porte le nom de son avatar d'écrivaine et de l'héroïne de son premier roman, conférant une cohérence et une circulation de figures à son œuvre.

Le roman bascule de manière spectaculaire dans une seconde partie qui interroge directement le statut de l'héroïne. Suite à un événement insoutenable, Louise fuit et se retrouve projetée, dans un registre inspiré d'Alice au pays des merveilles ou de Narnia, dans un univers de conte. Dans ce monde à l'envers, les figures littéraires rencontrées précédemment, telles que La Princesse de Clèves ou les personnages de Molière (dont une pièce est répétée en début de récit), se mettent à agir. Elle y rencontre le mystérieux Prince de Marcia, dont le discours évoque La Rochefoucauld, et se voit donner des leçons de vie et de morale.

Cette rupture formelle permet à l'auteure d'explorer l'inconscient de Louise et d'articuler fortement les deux parties. Le roman se mue alors en une mise en abyme, où l'héroïne prend conscience d'être persécutée par son propre créateur, l'auteur. Lise Charles construit ainsi une œuvre réflexive sur la construction romanesque, l'identité et le pouvoir du récit sur l'individu.