Dans "N'oublie pas notre Arménie", Yahia Balaskri nous plonge au cœur de la condition humaine face à l'horreur des massacres d'Arméniens de 1909 à Adana, alors partie de l'Empire ottoman. Loin d'être un simple récit historique, le roman explore la dignité humaine et la résilience face à l'ignominie.

L'histoire suit le Père Bourak, un prêtre rescapé d'un précédent massacre et Marissa, une femme médecin venue de Constantinople. Tous deux se retrouvent pris au piège de cette tragédie et entament un exil forcé vers l'Est, traversant la Cilicie, les montagnes du Taurus, puis la Syrie et la Perse. Ce voyage, qui dure huit mois, est un cheminement initiatique pour Marissa, qui, bien qu'elle n'ait jamais souhaité l'exil, se retrouve à témoigner des atrocités et à chercher son propre chemin.

Le titre, "N'oublie pas notre Arménie", est une métaphore puissante : il ne s'agit pas seulement de l'Arménie géographique, mais de tout lieu où la dignité humaine est bafouée. Le roman est un hymne à l'exil, un périple incessant où chaque étape est un renouvellement de la quête de sens. Marissa, qui avait pour vocation de soigner, se retrouve paradoxalement en quête d'assistance, contrainte de dépendre des autres.

Yahia Balaskri utilise une narration unique, mêlant le récit de Marissa aux voix d'un chœur de femmes qui accompagnent le Père Bourak. Ces voix féminines, porteuses de poésie et de chant, surgissent dans le silence assourdissant de la barbarie, offrant un rempart contre l'indicible. Elles incarnent la capacité de l'humanité à chanter ses peines et ses joies, même dans les moments les plus sombres. Le choix d'un homme d'Église comme le Père Bourak n'est pas anodin, il symbolise l'Arménie et la vulnérabilité de l'homme face à Dieu et au destin.

Le lien entre Marissa et Bourak, loin d'être conventionnel, se forge dans l'émotion et l'humanité la plus simple. Ils incarnent l'amour, la rencontre et le partage, à l'opposé de la haine et du ressentiment qui rongent le monde. Le voyage les mène finalement vers Samarcande, une ville que l'auteur chérit, symbolisant un lieu où les différences culturelles et religieuses s'estompent au profit de la reconnaissance de notre singularité et de notre vulnérabilité commune. Le roman est un appel à accepter l'autre dans sa diversité, à voir en chaque individu, même le plus démuni, une richesse et une opportunité d'ouvrir de nouveaux chemins ensemble.