Un coup de coeur de Mollat
Se nourrissant de ce qu'il trouve, vêtu de n'importe quoi, paisible, demeurant n'importe où, il est délivré, lui, le Soi de tous les êtres. (69) [1]
La biographie de Jacqueline Chambron vient donner corps et empathie à l'œuvre de Lilian Silburn et « apaiser » un temps les lecteurs de ses textes qui se demandaient parfois qui était la personne derrière la commentatrice experte des textes shivaïtes. Les témoignages de ceux qui auront eu la chance de la rencontrer attestent qu'elle transmettait par sa simple présence une énergie pour le moins « compacte » que chacun recevait au plus profond de soi, à côté des discours et loin de toute notion religieuse.
Lilian Silburn a mis à la disposition de tous un important corpus de textes issus du courant appelé Shivaïsme du Cachemire, la plupart publiés aux Editions De Boccard. Dès sa première publication, en 1957, « Le paramarthasara », elle resitue dans sa complexité l'Ecole Trika, laquelle conjugue les références directes à des états mystiques et une volonté pédagogique, en quelque sorte, de distinguer les différents mécanismes de la conscience. « Ces mystiques sont d'autre part des rationalistes, car ils se servent autant qu'il leur est possible de la raison pour étayer leur expérience spirituelle. Ils s'intéressent également au monde de l'expérience usuelle et c'est ans la vie courante qu'ils trouvent des exemples propres à illustrer les états mystiques qu'ils s'efforcent de décrire et de classer. » [2]
Cette école considère aussi le corps comme le lieu même et le moyen de la connaissance, susceptible d'éprouver l'état bahirava, en sorte que ses promoteurs « soutiennent qu'on peut jouir dès ici-bas d'une vie divinisée aux énergies infinies. »[3]
On trouvera également dans « Le Vijnana Bhairava »[4] véritable catalogue de 163 propositions, des références à l'utilisation des sens et du corps. Ainsi, « Qu'on évoque l'espace vide en son propre corps dans toutes les directions à la fois.. (Alors) pour qui jouit d'une pensée libre de dualité, tout devient espace vide. (43)[5] . Ou bien encore, « On doit considérer la différenciation de la peau du corps comme un mur. Celui qui médite ainsi sur son corps comme s'il ne contenait rien à l'intérieur adhère (bientôt) à l'au-delà du méditable. (48)[6]
C'est également cette rencontre entre une connaissance éprouvée et une volonté de diffuser des textes peu accessibles ou même « cryptés » qui permet la rédaction de l'ouvrage « La kundalini L'énergie des profondeurs Étude d'ensemble d'après les textes du Sivaïsme non dualiste du Kasmir »[7] . Comportant de nombreuses références aux textes et commentaires d'Abhinavagupta, elle indique, de manière « discrète » sa propre connaissance du sujet : « J'aurais aimé dédier ce livre au Swami Lakshman Brahmacarin qui m'a toujours soutenue dans l'exploration des textes, ou encore à mon guru, Sri Radha Mohan Lalji Adhauliya, dont la pure efficience mystique m'a fait vivre sans intermédiaire ni moyen la grande expérience de la kundalini. Mais n'ayant guère reçu d'encouragement à publier cet ouvrage-entreprise bien téméraire à leurs yeux -je le dédie au serpent abyssal qui attend impatiemment depuis des millénaires un signe de reconnaissance. » [8]
Concernant Abhinavagupta, figure importante du Shivaïsme au 11° siècle, elle lui consacrera les ouvrages « Hymnes de Abhinavagupta »[9] et, en collaboration avec André Padoux, « Abhinavagupta (trad. Lilian Silburn et André Padoux), La lumière sur les tantras : chapitres 1 à 5 du Tantraloka avec commentaire de Jayaratha » [10]
Enfin, outre une introduction aux textes fondamentaux du boudhisme, « Aux sources du boudhisme » [11] , elle aura coordonné plusieurs numéros importants de la revue Hermes, « Le Maître Spirituel selon les traditions d'Orient et d'Occident et d'après des témoignages contemporains. » [12], « Le Vide Expérience spirituelle en occident et en orient »[13] , « Les voies de la mystique ou l'accès au sans accès d'après le shivaïsme du Cachemire, des auteurs chrétiens, soufis et un maître du Tch'an. Avec un hommage à Jacques Masui. »[14] , « Tch'an Zen racines et floraisons » [15]
Souhaitons que la biographie de Jacqueline Chambron donne envie aux lecteurs d'aller chercher par eux-même, comme nous y invite Abhinavagupta dans sa première stance sur l'Incomparable qu'elle traduisit : « Ici, nul besoin de progrès spirituel ni de contemplation, ni d'habileté de discours, ni d'enquêtes, nul besoin de méditer, ni de se concentrer, ni de s'exercer aux prières marmonnées. Quelle est, dis-moi, la Réalité ultime, absolument certaine ? Ecoute ceci : ne prends ni ne laisse, tel que tu es, jouis heureusement de tout. »
[1]In « Le paramarthasara » texte sanskrit édité et traduit par Lilian Silburn, Publications de l'Institut de Civilisation Indienne, fascicule 5, Editions de Boccard, 1957
[2]idem
[3]idem
[4]« Le Vijnana Bhairava » texte traduit et commenté par lilian Silburn, Collège de France, Institut de Civilisation Indienne Fascicule N° 15, 1983
[5]idem
[6]idem
[7]« La kundalini L'énergie des profondeurs, Lilian Silburn, Les Deux Océans, 1983
[8]idem
[9]Abhinavagupta (trad. Lilian Silburn), Hymnes, De Boccard, coll. « Publications de l'Institut de civilisation indienne »,? 1986 (1re éd. 1970)
[10]Abhinavagupta (trad. Lilian Silburn et André Padoux), La lumière sur les tantras : chapitres 1 à 5 du Tantraloka avec commentaire de Jayaratha, De Boccard, coll. « Publications de l'Institut de civilisation indienne »,? 1998, 316 p.
[11]« Aux sources du boudhisme » textes présentés et choisis par >Lilian Silburn, Fayard, 1997
[12]Le Maître Spirituel selon les traditions d'Orient et d'Occident et d'après des témoignages contemporains. de Lilian Silburn, revue Hermes, Editions Les Deux Océans, 1983, 2010
[13]Le Vide Expérience spirituelle en occident et en orient de Lilian Silburn, revue Hermes, Eiditions Les Deux Océans, 1981
[14]Les voies de la mystique ou l'accès au sans accès d'après le shivaïsme du Cachemire, des auteurs chrétiens, soufis et un maître du Tch'an. Avec un hommage à Jacques Masui. de Lilian Silburn, revue Hermes, Editions Les Deux Océans, 1981
[15]Tch'an Zen racines et floraisons de Lilian Silburn, revue Hermes, Eiditions Les Deux Océans, 1985, 2005
[16]Huit stances sur l'Incomparable in Hymnes de Abhinavagupta, traduits et commentés par Lilain Silburn, Collège de France, Institut de Civilisation Indienne, 1986