Un coup de coeur de Mollat
On peut se demander si la verve hugolienne sied à un public de 6-9 ans, d'autant que ce poème, tiré du recueil Toute la lyre, est présenté ici opportunément renommé et tronqué. En effet son titre initial est Bon conseil aux amants. Mais il apparaît qu'à la lecture cette fable n'est ni plus impertinente ni plus cruelle que celles de La Fontaine. Et si le choix éditorial de cette langue en alexandrin pour ce jeune lectorat n'avait qu'un seul mérite ce serait sans nul doute celui de faire découvrir la musique de ce vers royal parmi les vers. Voilà donc un programme amplement réussi grâce à un texte qui, rappelons-le, est régulièrement proposé comme sujet au baccalauréat de français. (il n'est jamais trop tôt pour s'en préoccuper (alexandrin !...)).
Mais il faut bien le reconnaître, ce qui rend vraiment savoureux ce conte, ce sont les illustrations qui l'accompagnent. Nous les devons à S. Poliakova, jeune artiste russe née en 1977 et installée en France depuis 1998 pour y achever des études d'Arts Décoratifs. Son travail témoigne d'une libre et imaginative interprétation du poème de Hugo.
En une succession de tableaux de paysages enneigés montés sur des châssis entraînés par de complexes mécanismes, elle déroule l'histoire. Les protagonistes, devenus des pantins articulés par des fils ou des tiges, évoluent au milieu des engrenages, comme s'ils avaient franchi la façade d'un imaginaire pour y pénétrer au cœur. Nous voici ainsi spectateurs d'un castelet alternant vues d'ensemble et gros plans aux couleurs profondes et contrastées ; les bleus turquoise et transparents qui côtoient des rouges par-ci par-là d'entrelacs. Des superpositions de texte et de détails décoratifs offrent une richesse et une perspective baroque. Autant de propositions faites à chacun pour comprendre à son niveau l'aventure de cet ogre naïf, amoureux et gourmand.
Découvrir les mélodies alexandrines du grand Hugo grâce à un tel livre, c'est assurément encourager ce talent pour la poésie qu'ont tous les enfants et qu'ils se dépêchent vite d'oublier quand ils sont devenus adultes. Alors n'oublions pas d'en profiter.