Pas commode. C'est ce qui revenait souvent dans la bouche de ceux qui le fréquentaient, amis, ennemis ou lecteurs. Bernard Manciet connaissait le goût des amitiés fortes et par là même, celui des détestations franches. Il connaissait celui de sa langue, le Gascon noir, langue abrupte, rocailleuse et puissante qu'il maniait avec un art tel que ce pratiquant d'un presque dialecte était considéré par ses pairs poètes comme l'un des astres littéraires les plus brillants.
Bernard Manciet s'est donc éteint. En pleine gloire – gloire qu'il était d'ailleurs fort occupé à fuir, reclus dans ses Landes – en pleine actualité, un disque/spectacle avec Bernard Lubat, la récente création de son Périclès au CDN, en pleine force créatrice.
Cet occitaniste, né à sabres en 1923, a d'abord connu une carrière diplomatique. Il s'est ensuite consacré à la littérature à partir des années 50. Animateur de la revue Oc, refusant toute allégeance fédéraliste, tout entier voué à la poésie et au respect d'une morale personnelle faite d'audace, de colères, d'infinie exigence envers soi, il a entamé la publication d'une œuvre, dense et maintes fois retravaillée – qui a la chance de posséder les éditions successives de certains de ses ouvrages sait de quoi il en retourne. La renommée est venue sur le tard, avec la publication de son grand œuvre : L'Enterrament a Sabres (L'Enterrement à sabres), vaste chant classique avec récitants et chœur qui réunit ce que la poésie peut faire de plus classique, de plus lyrique, de plus sec, de plus local et par là, de plus universel. Le texte est à l'image de Manciet : pas commode. Enorme, abrupt, profond, riche, intimidant parfois, il se livre avec peine mais marque à jamais son lecteur.
De Manciet, on trouvera bientôt Jardins perdus, que publie l'Escampette, et d'autres titres comme Sable, La Proie, Lo Gojat de noveme, Eloge de la Rose, l'enfant de Bassora, et bien d'autres textes récents ou réédités dont on trouvera la liste avec le portrait que nous publiions de lui il y a quelques temps...
Nous voici donc sans Manciet. Le Lion de Gascogne ne rugira plus, mais le poète demeure. Le plus bel hommage à lui rendre sera donc de le lire :
Car nosautis que'èm vin gualhard e de hoge
e aiga sauvatja
La mair deus Jorns se pò méter a la frinèsta
Per entièner si torna lo gran Bròs deu gran Hat
Que pòt surtir sus la rota
Entenerà pas mì las arròdas ni d'anueit
Ni de jamèi quan vadem nos isclas de còsCar nous sommes désormais le vin fort le vin de foudre
et l'eau sauvage
la Mère des Jours peut toujours se pencher à la fenêtre
pour écouter s'il revient le Grand Chariot du Grand destin
elle peut sortir sur la toute
Elle n'entendra plus ses roues ni cette nuit(Traduction : Bernard Manciet)
Bernard Manciet, par Pascal
Fellonneau