Le moins qu'on puisse dire, c'est que cet homme, discret par nature, aura beaucoup fait parler de lui. Francis Jeanson, philosophe, écrivain et éditeur, est mort le 1er Août à Arès. Il résidait au Cap-Ferret depuis plusieurs années. Il avait 87 ans.
Né à Bordeaux en 1922, issu d'un milieu plutôt aisé et cultivé, Francis Jeanson découvre la philosophie après avoir échoué, pour cause de santé fragile, à l'entrée de l'Ecole Navale. Quelques années plus tard, à l'issue de ses études, il doit fuir le STO. Interné dans un camp de réfugiés espagnol, il s'enfuit, s'enrôle dans l'armée d'Afrique puis rentre en France en décembre 1944.
C'est dans l'Après-guerre, à Paris, qu'il tisse ses premiers réseaux intellectuels et politiques, d'abord avec Sartre, sur qui il publie un ouvrage, puis avec la rédaction de la revue Esprit à laquelle il collabore. Homme d'échange et de tolérance, Francis Jeanson va être le lien discret entre les deux « mouvances » existentialistes que l'on jugeait pourtant inconciliables.
Son engagement politique va prendre forme au cours des années 50. C'est en 1955 qu'il publie
L'Algérie hors-la-loi et se range aux côtés du FLN. La publication de cet ouvrage va précipiter un mouvement qui s'était amorcé au lendemain de la guerre, obligeant de nombreux intellectuels de gauche, extrême ou modérée, à prendre parti dans les luttes d'indépendance de l'empire colonial français.
De l'engagement à l'action, il n'y avait qu'un pas que Francis Jeanson franchît bientôt en devenant « porteur de valises » pour le FLN. C'est d'ailleurs à ce titre que l'Histoire l'inscrira à son livre. Soutenant activement les réseaux du FLN en France, Jeanson est condamné par contumace - il est alors en fuite - à 10 ans de prison. Amnistié en 1966, il rentre en France et travaille, en compagnie d'André Malraux, à la création des Maisons de la culture.
Les années soixante-dix le voient s'engager dans un autre combat, celui de la psychiatrie ouverte et des formations dispensées aux personnels soignants et aux médecins. Fondateur de la
SOFOR en 1984, une association de formation, il en est resté le président jusqu'à sa mort.
En 1992, il s'est à nouveau engagé, aux côtés de Léon Schwartzenberg, en soutien au peuple bosniaque, dans l'association Sarajevo. Il fut même candidat aux élections Européennes de 1994 sur la liste « L'Europe commence à Sarajevo ».
De lui, l'histoire, et la presse, ne retiendront peut-être que l'image du porteur de valises, fondateur du réseau Jeanson. De lui, nous retiendrons une voix grave et calme lorsque nous avions l'occasion de nous entretenir avec lui au sujet d'ouvrages qu'il recherchait. Et puis cette collection des éditions du Seuil,
Ecrivains de toujours, qui nous permettait d'emporter avec nous un œuvre entière et de précieux commentaires. De lui, les étudiants retiendront un nom sur la couverture de savants ouvrages, bréviaires indispensables à qui voulait comprendre la vie intellectuelle de l'après guerre. De lui de nombreux malades et soignants retiendront le philosophe en action qui contribua à la création des services de psychiatrie ouverte…
Une vie bien remplie, en somme.
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Dominique-Emmanuel Blanchard