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Oz, le magicien

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Publié le 16/04/2004
L'écrivain israélien Amos Oz a reçu le prix France Culture 2004 pour Une histoire d'amour et de ténèbres.

Amos Oz habite un pays à la fois neuf et millénaire. Amos Oz parle une langue neuve et millénaire. Amos Oz vit en Israël et parle hébreu. Et visiblement, les destins de ces trois là, l'homme, le pays, la langue, sont indissociables, comme en témoigne Une histoire d'amour et de ténèbres , qui vient de se voir décerner le prix France Culture 2004.

Amos Oz, qui fut d'abord Amos Klausner, est né à Jérusalem en 1939, capitale de ce qui s'appelait encore la Palestine sous protectorat anglais. Fils unique d'érudits originaires de Lituanie et de Pologne, il appartient à ce que les pionniers sionistes qualifiaient alors d'immigration diasporique. Cet israélien de la première génération s'est donc construit en même temps que son pays et sa langue.

Une langue chérie, cet hébreu naissant et triomphant, si éloigné du yiddish des ancêtres persécutés. Une langue où déjà, l'enfant distingue les accents de ceux qui la parlent. Les tournures talmudiques des anciens qui l'apprirent à la yeshiva ; celles, littéraires, de ceux qui furent enseignés en hébreu dans les écoles confessionnelles qu'ouvrait, au tournant du siècle, le mouvement sioniste ; et enfin l'hébreu d'Israël, celui de la rue avec ses tournures familières, son argot et ses gros mots. Amos Oz est l'enfant de tous ces hébreux. Fils d'un érudit polyglotte, il est le petit neveu de Yosef Klausner, linguiste qui fut parmi les créateurs de l'hébreu moderne : « Dans mon enfance, je vouais une grande admiration à mon grand-oncle Yosef parce que, m'avait-t-on dit, il avait inventé des mots quotidiens, des mots qui semblaient avoir existé depuis toujours, comme «  mensuel », « crayon », « iceberg », « chemise », « serre », « toast », « cargaison », « monotone », « bigarré », « sensuel », « grue », « rhinocéros » . (Qu'aurais-je porté le matin si mon grand-oncle Yosef ne nous avait pas donné la chemise ? La tunique rayée de Joseph ? Et avec quoi aurais-je écrit sans son crayon ? Avec une mine de plomb ? sans parler de la sensualité, lui qui était tellement puritain). »

Cet Amos Oz là grandit dans les mots et les livres : «  (...), j'étais en quelque sorte la victime d'un lavage de cerveau méthodique : le sanctuaire du livre de l'oncle Yosef, le cachot à livres de mon père, chez nous, à Kerem Avraham, les pages des livres où se réfugiait ma mère, les poèmes de grand-père Alexandre, les romans de notre voisin, M. Zarchi, les fiches et les jeux de mots de mon père, sans oublier les étreintes de Saül Tchernikhovsky et les raisins secs de M. Agnon, qui projetait plusieurs ombres à la fois. »

Amos Oz grandit donc dans Israël naissant et témoigne avec une mémoire incertaine et réinventée de ces jours qui virent s'accomplir le rêve de tant de juifs, des mois de guerre qui suivirent la création d'Israël, du siège de la Jérusalem juive, des exactions commises de part et d'autre et du trouble que tout ceci lui causait et qui l'agite encore.

Mais, bien sûr, la vie rattrape souvent la grande histoire et Amos l'enfant vit ses propres drames au milieu de la tragédie qui débute en Israël. Sa mère, si belle, si aimée qu'une mélancolie fatale emporte alors qu'il a douze ans. Cette douce figure qui tant le fit souffrir, aimer et haïr tour à tour un père désemparé, ce visage si beau, astre sombre qui captive le regard sur la photographie de la couverture du livre. Cette perte le fit renoncer aux mots et se rêver pionnier au kibboutz, lui si maigre et pâle. Il ira donc vers cette ultime frontière d'Israël où on lui fera comprendre que le pays a davantage besoin de son cerveau que de ses maigres biceps.

Heureusement pour nous, il a fini par l'admettre et, devenu auteur, militant fondateur du mouvement La Paix maintenant, il nous parle aujourd'hui de ces temps où s'inventaient un pays, un peuple, au milieu de quoi grandissait un petit garçon devenu un grand écrivain. Et un homme.