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Timothy Findley au coeur des ténèbres

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Publié le 24/06/2002
L'auteur de "Pilgrim", du "Dernier des fous" et du remarquable "Chasseur de têtes" s'est éteint dans la nuit du 20 au 21 juin.

Les yeux qui se sont fermés dans la nuit de jeudi à vendredi sont ceux d'une des plus folles têtes de la littérature anglo-saxonne. Timothy Findley était l'auteur d'une dizaine de romans, fous, violents et fantastiques. Né en 1930, c'est seulement après avoir entamé une carrière de comédien que ce canadien anglophone a bifurqué vers l'écriture avec un succès croissant à chaque publication.

Connu tardivement en France grâce au Serpent à plumes, éditeur de la quasi totalité de ses romans sous nos latitudes, il a rencontré la consécration au Canada en 1973 avec la publication de Guerres, un roman qui mettait en scène un soldat canadien dans la première guerre mondiale. Son imagination débordante le faisait mêler personnages historiques, romanesques et imaginaires dans des romans où la folie tenait une place prépondérante. Du Dernier des fous , son premier livre qui avait eu de grandes difficultés à trouver un éditeur, principalement à cause de sa violence et de ce qu'il renvoyait de critique sociale aux lecteurs canadiens, à Pilgrim, dernier opus traduit en français ; ce sont en effet des dizaines d'êtres de papier auxquels Findley a donné vie et chair, des personnages qui encore nous accompagnent dans notre découverte des tréfonds de l'âme humaine.

Parmi tous ces romans, le plus remarquable est certainement Le Chasseur de têtes, où Findley met en scène une bibliothécaire douée d'une peu banale faculté : celle de faire surgir dans la vie réelle les personnages des romans qu'elle lit. De l'inoffensif Pierre Lapin rencontré une fois dans sa jeunesse et dont elle conservait précieusement les souliers rouges dans son porte-monnaie, au démoniaque Kurz, héros de Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad, incarné en un psychiatre, directeur d'une élégante clinique qui compte comme patients tout ce que Toronto connaît de riches et puissants gouvernants et hommes d'affaires. Effrayée par les conséquences de la "venue au monde" du terrible personnage, la lectrice maladroite n'aura d'autres choix que de d'appeler à son aide Marlow l'autre personnage du roman de Conrad. S'engage alors une lutte sans merci entre le "Chasseur de têtes" et son ennemi qui, comme dans son modèle, se termine par la défaite du méchant. Mais les traces de son passage sur terre seront impossibles à effacer et c'est une société perverse et dévastée que Findley nous donne à voir tout au long de son roman. Car s'il est une preuve du talent du canadien, c'est bien celle qu'il donne à chaque page de ce livre où, non content de produire une oeuvre stupéfiante d'imagination, de construction et de complexité technique, il dresse un portrait cruel et effaré des hommes, de leurs névroses, de leurs crimes et cruautés. Voilà un roman fantastique qui s'ancre dans la réalité par ce qu'elle a de plus cru, de plus terrible.

Fantastique dans la forme, objectif et terriblement lucide et réaliste sur le fond, tel était Timothy Findley. Son oeuvre, c'est certain, lui survivra. Il nous reste d'ailleurs trois de ces romans à découvrir en français. Il était connu comme doux et affablemilitant de la cause homosexuelle au Canada, il passait une partie de l'année en France, dans le Var, où il s'est éteint de complications consécutives à une fracture pelvienne. Souhaitons qu'un jour, un romancier fasse de lui un beau personnage, il adorerait ça...