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Bienvenue en Anthropocène !

Publié le 07/11/2013
Alors que les écologistes tentent d'alerter les populations et leurs dirigeants sur l'état inquiétant de la planète, certains scientifiques ont déjà entériné l'impact décisif de l'Homme sur la planète.
"Anthropocène" est le néologisme employé en 2002 par Paul Crutzen, chimiste néerlandais, prix Nobel en 1995 pour ses découvertes sur l'ozone, et qualifiant la nouvelle ère géologique dans laquelle nous vivons. Ce "nouvel âge de l'humanité" mettrait fin à la longue période de stabilté de l'Holocène s'étendant sur les 11 500 dernières années et qui débuta avec la naissance de l'agriculture et la sédentarisation des Hommes. L'anthropocène résulte d'un véritable impact géologique des activités humaines : concentration du CO2 et autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère, effondrement de la biodiversité, modification des flux hydrauliques de la planète,...

D'autre part, l'homme pose son empreinte sur la plus grande partie de la Terre en déforestant par exemple, au profit de pâturages ou de zones urbaines. Tout ceci fait de l'humanité une force géologique qui a une incidence sur le devenir géologique du système terre. Christophe Bonneuil, historien et directeur de la nouvelle collection du Seuil "Anthropocène" revient remarquablement avec Jean-Baptiste Fressoz, historien lui aussi, sur cette "révolution géologique" dans leur ouvrage L'Événement anthropocène. Paul Crutzen fait débuter cette période en 1784 avec l'invention de la machine à vapeur qui amorce la révolution industrielle en Angleterre.

Dans l'avènement de cette ère, les anthropocénologues décèlent deux autres moments clefs : une "folle accélération" à partir de 1945 avec des innovations technologiques que la seconde guerre mondiale rendit propice et qui vit une poussée exponentielle des impacts humains sur la planète. Puis en 2001, la reconnaissance par le très respectable GIEC ( Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du Climat) d'un changement climatique d'origine humaine. Claude Lorius, éminent glaciologue français, fait ce même constat amère, lui qui, à 76 ans, a mené 22 expéditions au Groenland et en Antartique, sa terre de prédilection. C'est au cours de l'une de ces expéditions en 1984 à Vostok (pont le plus froid de la planète) que les scientifiques découvrent que la glace renferme la mémoire des températures qu'a connu la planète. Claude Lorius raconte dans son ouvrage Voyage dans l'anthropocène ce geste désinvolte d'un morceau de glace glissé dans un verre de Whisky: le pétillement qui se fait alors entendre laisse penser que la glace a renfermé les propriétés de l'air de l'époque de sa formation.

Claude Lorius rapporte ses recherches, ses expériences, ses inquiétudes ; il interpelle, il ne cherche pas à trouver les responsables d'un désastre climatique mais prône un changement rapide des conduites de nos sociétés modernes pour préserver ce qui peut l'être encore. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz poursuivent leur enquête et, en historiens consciencieux, questionnent le récit même de l'anthropocène : non pas tant pour le remettre en cause que pour critiquer la posture de certains auteurs de cette Histoire : "Que signifie pour nous humains, d'avoir l'avenir d'une planète entre nos mains? un sentiment d'effroi doublé bien vite par un sentiment de puissance?(...) Alors qu'il pourrait signifier un appel à l'humanité, l'anthropocène est convoqué à l'appui d'une hubris planétaire."

Mettant dos à dos la stérilité des scénarios catastrophistes et la confiance irréductible en la science, les deux chercheurs portent leur analyse sur les choix politiques et sociétaux qui ont accompagné ces deux cents ans. A l'image de l'histoire de l'énergie "qui est aussi et surtout celle de choix politiques, militaires et idéologiques qu'il faut analyser en historien, c'est-à-dire en les rapportant aux intérêts et aux objectifs stratégiques de certains groupes sociaux".

La démonstration est pertinente et fort convaincante. Mais elle a surtout le mérite de laisser entre les mains des citoyens la possibilité et la responsabilité de leur avenir.