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DADAPHILIA #1.Tristan Tzara

Une actualité de Jérémy Gadras
Publié le 26/09/2017
Figure éminente et emblématique des premières décennies du XXe siècle, Tristan Tzara fut sans nul doute parmi les acteurs les plus controversés de la scène artistique et poétique, créateur prolixe, infatigable rhéteur, petit homme chétif au savoir étendu, d’une titulature complexe et extrême.

À la fois écrivain, poète, collectionneur, critique, essayiste, philosophe modeste, pris dans l’engouement des défenses révolutionnaires jusqu'à devenir secrétaire pour la défense de la culture espagnole en 1936, résistant poursuivit par le régime de Vichy ; Tristan Tzara fut de ces artistes aux multiples casquettes et à l’unique chemise bigarrée arborant les scabreuses couleurs Dadaïstes jusqu’à son dernier souffle.

Né Samuel Rosenstock le 16 avril 1896 en Roumanie, il y fait ses premières armes littéraires aux côtés d’Ion Vinéa et Marcel Janco en fondant la revue « Simbolul » (Symbole). Il faudra attendre 1915 qu’un concours de circonstances d’apparences anodines ; une rupture familiale qui l’amène à Zurich, une terre nouvelle et neutre, les retrouvailles avec Janco et la rencontre avec l’excentrique poète Hugo Ball ; pour que s’encommence la fondation d’un homme singulier dans le paysage artistique, aux facondes et adages particuliers et dont la personnalité ne se laissera jamais traduire aisément, seulement sous l’unanime conviction de ses contemporains à voir en Tzara le caractère absolu d’un patronyme important dans l’évolution et l’innovation esthétique du XXe siècle. C’est en 1916 que Samuel Rosenstock rend les armes de l’héritage anthroponymique en se rebaptisant Tristan Tzara et dont la simple citation ou mention gardera l’écho fracassant des années zurichoises alors mariées au mot inclassable et indéfini Dada dont les braises enflammeront Paris, New York, Berlin, Moscou, Hanovre, Cologne, soufflant avec elles maints adages dont « Dada est tout, Dada est partout », dicté par un « Dada soulève tout ». À partir de cette période s’engage une prolifique correspondance épistolaire au-delà des frontières suisses et à partir de laquelle il entrera en fréquente collaboration avec les milieux littéraires et artistiques européens. Le 14 juillet 1916, Tzara écrit son premier manifeste, Manifeste de Monsieur Antipyrine, lu au Cabaret Voltaire, accompagné de son célèbre texte Le poème bruitiste  où s’exposent les théories poétiques dadaïstes ; entre automatisme, bruits en forme de chant, récitals phonétiques, performances scéniques… suivant un seul et même but, la déconstruction possible d’un système du langage abrutissant, embourgeoisé par les tenants d’une culture artistique bienséante. Ainsi, Apollinaire, Max Jacob, Reverdy, mais également Francis Picabia, Raoul Hausmann, Franz Jung et Paul Elouard répondent aux cris du maître Suisse, alouvis eux-mêmes par l’innovation, par l’idée d’un nouvel art possible construit sur les ruines d’un monde moribond. Chacun suivra ce poète roumain, hurlant la réhabilitation de l’art par la déconstruction, la transgression positive, l’« opération chirurgicale » amenée à remodeler le visage désuet et patibulaire de l’esthétique contemporaine : « il y a un grand travail destructif, négatif à accomplir. Balayer, nettoyer. La propreté de l’individu s’affirme après l’état de folie, de folie agressive, complète, d’un monde laissé entre les mains des bandits, qui se déchirent et détruisent les siècles ». La maladie de l’homme, désabusé par la terreur et l’horreur d’une guerre absconse, se retrouve dans l’art et les produits de l’art, et doit insuffler à l’esthétique un nouveau souffle issu de l’aberration d’une condition humaine subie. Plus cosmique que proprement nihiliste, Tzara se fait l’élève de Nietzsche, d’Adorno, de Bergson et de Marc Stirner, affirmant en 1922 que « les débuts de Dada n’étaient pas le début d’un art, mais ceux d’un dégout », d’une répugnance face à une civilisation malade où ne peut naître qu’un esprit libre et destructeur comme Dada, nourri d’un Tzara convalescent ; « Hélas ! dégoût ! dégoût ! dégoût ! » — Ainsi parlait Zarathoustra.

 À partir de 1919 – un an après son second manifeste Dada – une correspondance décisive avec André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault (fondateurs et animateurs de la revue Littérature) l’amènera à quitter Zurich pour Paris où il rencontrera Georges Ribemont-Dessaignes, élève studieux et promoteur de Dada-Paris. Participant de la revue « le Cœur à barbe », Tzara continue opiniâtrement la diffusion d’une pensée et d’un esprit Dada dans divers écrits et manifestes : Dada manifeste sur l'amour faible et l'amour amer (1920), trois oeuvres théâtrales : Première Aventure céleste de Monsieur Antipyrine (1920), Deuxième Aventure céleste de Monsieur Antipyrine (1920), Coeur à Gaz (1921) ; Mouchoir de Nuage (1924), l’Homme approximatif  (commencées en 1925 et publiées en 1931), L’Arbre des voyageurs (1930), Où boivent les loups (1932), Parler Seul (1950), Frère bois (1958). À la fin de sa vie, il se consacra exclusivement et passionnément pour l’étude des anagrammes de Villon et de Rabelais, tout en entreprenant la réimpression de ses manifestes dadaïstes ainsi qu’une série d’essais et d’articles Dada sous l’intitulé Lampisteries. En marge de ses publications à seule fin de diffusion des vraies valeurs d’un dada défunt, il produira un nombre certain de poèmes, d’écrits divers sur l’art et les artistes, sur la littérature et les littérateurs, et sur la Culture qui le somme de toujours percevoir en elle l’ennemie soumise aux relents d’une bourgeoisie qui la dirige.

Bibliographie