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David Peace 1

Publié le 01/09/2010
Un écrivain entre K.O. et chaos
Sous l'égide de James Ellroy

David Peace est un écrivain anglais qui perpétue la tradition des grands noms du noir britannique (Harvey, Robin Cook, Ted Lewis) en accord avec certains de ses contemporains voisins, irlandais et écossais (Robert Lewis, Sean Burke, Ken Bruen...) Son univers, suffocant, incandescent, constitue une vision cauchemardesque de la verte Angleterre où le cynisme côtoie la folie obsessionnelle et les addictions autodestructrices. Il est à ce jour l'auteur de huit livres, publiés en France par la maison d'éditions Rivages - qui compte à son catalogue James Ellroy – écrivain que Peace reconnaît comme son maître spirituel.

La verte Angleterre

Sa première oeuvre s'inspire d'ailleurs du Quatuor de Los Angeles, à savoir l'ambitieuse tétralogie du Yorkshire intitulée The Red Riding Quartet et composée des quatre volets chronologiques 1974, 1977, 1980 et 1983 - radiographie au scalpel des années Thatcher. Il y montre l'Angleterre comme un champ de ruines social, où sévit le chômage, la marginalisation, l'ennui, l'explosion punk et disco, qui va de pair avec l'assommoir du samedi soir... Nulle pitié pour ses personnages qui sous la plume deviennent des marionnettes impuissantes, broyées, mises K.O., vivant de véritables descentes aux enfers...
Son livre suivant GB 84 retrace les grèves des mineurs du Yorkhire en 1984, s'opposant aux restructurations imposées par le gouvernement de la Dame de Fer. A l'origine de son projet littéraire, Peace voulait intégrer cet épisode dans The Red Riding Quartet, mais l'ampleur du sujet lui fera écrire un pavé de presque 700 pages, qui en constitue en quelque sorte le point d'orgue.
Un petit détour par Leeds et ce sera 44 jours ou l'enfer de Brian Clough, entraîneur mythique du football anglais, ou les dessous du ballon rond, entre magouilles, argent, jalousie et rivalité, un roman de la paranoïa galopante, enlevé et incisif, rythmé.

Un style percutant et personnel

Car il faut aussi et surtout évoquer le style singulier qui est celui de Peace, son écriture fiévreuse et habitée qui colle à son propos, où les répétitions se multiplient, scandent une tonalité, une obsession, où la voix intérieure du personnage se déroule comme un flux de conscience obsessionnel. Ainsi, l'écrivain n'hésite pas à intégrer à sa narration des onomatopées, bruits, sons, répétitions, qui viennent ponctuer ou souligner ce qu'éprouve le personnage : rage, colère, haine, les mots cognent tel un tambour qui résonne, syncopé et omniprésent dans la tête du lecteur.

Tokyo Trilogy

En 1992, après la victoire électorale de John Major, David Peace décide de quitter l'Angleterre pour aller vivre au Japon. Son oeuvre s'oriente alors vers l'Orient et la ville de Tokyo où il a habité pendant plusieurs années lui inspire sa nouvelle trilogie. On y retrouve son intérêt pour les sociétés en putréfaction puisque l'action du premier volet Tokyo, année zéro se passe en 1945, récit halluciné et rageur où un inspecteur en hardes erre dans le décor dévasté de la ville ravagée par la guerre, lui-même hanté par les pires fantômes de ses souvenirs du Tonkin, où il a officié en exemplaire soldat de l'Empire du Soleil Levant. La construction, étonnante, imbrique la narration classique d'une enquête alternant avec des monologues intérieurs typographiés en italiques. Des extraits tronqués du journal du tueur – pages serrées de caractères compacts - viennent ponctuer le récit à cinq reprises : lors du prologue, puis en scansion, intercalés à chacune des trois parties du livre, précédées d'une photographie en noir et blanc, enfin en conclusion.

En cette rentrée littéraire 2010 paraît le second tome Tokyo, ville occupée dont l'action se passe en 1948 et s'inspire d'un fait divers : l'empoisonnement de douze employés de la Banque Impériale par un faux médecin (l'enquête n'a jamais abouti). Peace entraîne à nouveau son lecteur dans le décor chaotique de la ville de Tokyo bombardée, dévastée, peuplée de survivants hantés par les séquelles de la guerre. Dans les rues un écrivain erre, en quête de ses personnages, convoquant les fantômes des douze protagonistes de l'affaire, il va essayer de reconstituer la vérité en faisant parler les morts à travers leurs lettres, carnets, récits, articles de journaux, bribes de souvenirs...
La narration kaléidoscopique choisie par Peace mêle avec brio tous ces matériaux littéraires dans ce souffle rageur et inimitable qui n'appartient qu'à lui – ce nouvel opus confirme le talent d'un écrivain au sommet de son style.

Olivier & Karine

Bibliographie