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De grandes dents

Une actualité de Marion B.
Publié le 30/08/2024
Briser le déni social qui entoure l'inceste.
"Il était une fois, sous une flamboyante capuche rouge, un petit malentendu."

Le conte du Petit chaperon rouge et la figure du grand méchant loup ont hanté nos enfances et incarnent, pour petits et grands, la mise en garde par excellence contre le danger qui guette à l'extérieur de la maisonnée. Lucile Novat est bien entendu familière du-dit conte mais n'en tire pas la même interprétation ni les mêmes leçons : "le conte est bien un avertissement contre les prédateurs, on s'entend là-dessus. Mais on se trompe quand on pense que le prédateur rôde à l'extérieur alors que l'histoire essaye de dire que le danger est là, tout près, dans la maison, qu'elle le dit le plus explicitement possible, du moins le plus explicitement que puisse le recevoir un enfant à qui l'on est en train de la raconter, peut-être sous la couette, cette histoire qu'il connaît par coeur, coeur qui palpite dans l'attente fébrile du moment qu'il sait imminent et inéluctable, quand la voix qui lit gonflera d'un coup pour gronder en se tournant vers lui : C'est pour mieux te manger
" (1)

Selon elle, le message est clair : ce que dit le conte est le réel de l'inceste.

On se rappelle Eva Thomas témoignant courageusement à la télévision en septembre 1986 sur le plateau de l'émission "Les dossiers de l'écran" et l'effarement de l'entendre dire qu'un psychologue, accompagnant des groupes de victimes, lui avait dit qu'elle avait simplement vécu une belle histoire d'amour avec son père incesteur. L'effarement, toujours, d'entendre exprimées les paroles de pères témoignant des viols qu'ils faisaient subir à leurs enfants et d'invités défendant l'idée de victimes "séductrices", véritables "Lolita" consentantes et donc coupables, déroulant la fable d'incestes heureux à une époque où l'on parlait encore de pédophilie et non de pédocriminalité.

Interdit fondamental par lequel "s'accomplit le passage de la nature à la culture" (2), repris par l'ensemble de l'anthropologie dite classique, le tabou de l'inceste s'avère voiler la réalité de ce qu'il prétend décrire et "joue un rôle dans la reconduction des pratiques d'inceste à travers un déni actif et constant des situations réelles d'inceste" (3) Comme le résume l'artiste et activiste Juliet Drouar dans la "Culture de l'inceste", s'il est tabou de dire l'inceste, "il n'est [...] pas tabou de le faire".

Des décennies ont passé depuis le témoignage d'Eva Thomas et l'inceste continue de briser les corps et les esprits des "victimes directes, collatérales, survivantes, émancipées, celèbres, anonymes"(4) qui le subissent. Il faut rappeler le caractère massif de ce phénomène et l'ampleur du "déni social"(5) qui l'accompagne et enferme les victimes dans le silence au profit des agresseurs, garantissant leur impunité. 160 000 enfants chaque année, selon le rapport de la CIIVISE, un.e Français.e sur 10 victimes selon le dernier sondage IPSOS mais également 3 Français.es sur 10 qui connaîtraient une victime dans leur entourage. L'inceste, loin d'être une anomalie, concerne tout le monde. Et Lucile Novat de faire des comparaisons afin de se représenter l'irreprésentable : "Dites-vous que le rapport d'échelle est le même qu'entre le poids d'un lapin nain (kidnapping) et celui d'un grand cachalot (inceste)." (6) Et pourtant de qui a-t-on le plus de peur? De quelle menace parlons-nous à nos enfants pour les en protéger? Celle d'un Dutroux ou d'un Fourniret surgissant de la nuit dans une camionnette blanche? Ou celle d'un oncle, d'un père, d'un frère, d'un cousin ou d'une amie de la famille protégés par les "gardiens du temple du non-dit"? (7) Que fait-on de la parole des enfants? De celle des mères protectrices accusées de manipuler leurs enfants contre les pères? Quelle reconnaissance du rôle fondamental du patriarcat dans la perpétuation de ces violences rappelant que l'inceste a d'abord à voir avec la question du pouvoir (de qui) et de la domination (sur qui)? 

Afin de mieux comprendre la réalité sociale et culturelle de l'inceste, d'avoir des outils pour déconstruire nos représentations, mieux prévenir et protéger à travers notamment la promotion de nouvelles politiques, nous vous proposons une sélection d'ouvrages qui brisent le silence autour de l'inceste avec lucidité et courage. Des livres "pour construire d'autres routes. Ériger un autre monde, avec d'autres générations qui diront d'autres mots. Qui diront. Qui parleront. Jusqu'à être entendues." (8)

(1) De grandes dents, Zones
(2) Les structures élémentaires de la parenté, PU
(3) La culture de l'inceste, Seuil
(4) Ou peut-être une nuit, Pocket
(5) pour reprendre les termes du juge Durand dans 160 000 enfants. Violences sexuelles et déni social, Gallimard
(6) De grandes dents, Zones
(7) Ou peut-être une nuit
(8) Idem

Une sélection de livres pour briser le déni social qui entoure l'inceste.