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Hergé secret.

Publié le 22/02/2007
«Je ne fais jamais un scénario complet avec un découpage précis allant du début à la fin. Je vais un peu au hasard, comme dans la vie…»

Ses initiales, R.G, forment le fameux pseudonyme Hergé ; mais qui connaît la vie de Georges Rémi ?

Instigateur de la ligne claire (synthèse d'éléments présents dans la bande dessinée depuis ses débuts, le concept est inventé en 1977 par le dessinateur néerlandais Joost Swarte lors de l'exposition Tintin à Rotterdam) Hergé a développé le « style Tintin » : un trait noir à l'épaisseur régulière, des couleurs vives en aplats, sans effets d'ombres. Une œuvre franche et positive à l'image de Georges Rémi - qui dégageait une « évidente sympathie » dit Pierre Assouline - dans laquelle s'inscrit la vie de son créateur mais aussi toute l'histoire du XXème siècle.
Pourtant Georges Rémi était aussi un homme secret, ambiguë et contradictoire (à la fois boy-scout dans l'âme et amateur d'art éclairé) qui entra dans la collaboration en suiveur mais qui, au fils de sa vie et donc de ses albums, s'ouvrit progressivement à l'autre, et perdit bien des apprioris sur de nombreuses cultures.

Il naît en 1907 à Bruxelles d'une famille modeste et fragilisée : il souffrira entre autre de l'alcoolisme de son père (lui a-t-il inspiré le personnage du capitaine Haddock, qui était son personnage préféré ?) et de l'instabilité de son frère.

En 1920 il entre dans la troupe scoute de son école. « Je considère que le scoutisme a eu sur moi une très heureuse influence » dit-il à Numa Sadoul en 1971. « J'ai aussi été peau-rougiste, au moment où les scouts prenaient comme modèle les Indiens d'Amérique du Nord, et depuis, je me suis toujours intéressé à ces peuples. »

À l'école communale, il dessinait dans le bas de ses cahiers les histoires d'un petit espion qui jouait des tours aux Allemands. En 1926 il crée Les extraordinaires Aventures de Totor pour Le Boy-Scout belge, puis donne naissance à Tintin - un Totor devenu journaliste - en 1929, un personnage neutre et univoque ne renvoyant à rien d'autre qu'à lui-même, qui rassure les petits et repose les plus grands …

La même année est publié Tintin au pays des Soviet, inspiré par l'atmosphère anticommuniste du Petit Vingtième, le supplément jeunesse du Vingtième Siècle, journal dirigé par l'abbé Wallez, pour lequel il travaillait depuis 1925 et qui devint ouvertement collaborationniste durant la guerre.
« J'étais sincèrement convaincu d'être dans la bonne voie, et puis quoi ! J'avais la bénédiction de mon directeur, homme de droite et d'extrême droite » dit-il à Numa Sadoul.

En 1930 Tintin part au Congo. Hergé affirme avoir écrit cette histoire dans l'esprit typiquement paternaliste qui était alors celui de la Belgique envers ses colonies.

Pour l'élaboration du Lotus Bleu Hergé est mis en contact avec Tchang Tchong-Jen, un jeune chinois, avec qui il nouera une amitié pour la vie. Avec lui il prendra l'habitude de se baigner dans la culture des pays que visite Tintin et de le faire évoluer sur des fonds d'intrigues politiques : Le Lotus bleu traduit la prise de position d'Hergé en faveur du peuple chinois sous l'occupation japonaise. À partir de là ses albums cesseront d'adhérer passivement aux idées politiques de son temps.
« Depuis quelque temps déjà, j'ai été étonné de constater les idées fausses que j'avais, et que des lectures m'ont fait réviser. Et je me découvre ainsi, petit à petit, une réelle sympathie et une réelle admiration pour ce peuple et un vif désir de le comprendre et de l'aimer. » (Cité dans Hergé Correspondance).

En 1944  la parution des 7 Boules de Cristal sera interrompue : Hergé est arrêté chez lui par des activistes de la Résistance. On l'accuse de s'être volontairement mis au service de l'ennemi en travaillant pour un journal collaborationniste. Finalement en 1946, à la vue de son dossier, William Ugeux déclare : « Rien de grave. » On lui délivre un certificat de civilité qui lui permettra de continuer à travailler pour l'hebdomadaire Tintin, fondé la même année par une bande de résistants belges, attachés depuis le début au personnage de Tintin et convaincus de la naïveté d'Hergé quant à l'épisode de la collaboration.

En 1956 Georges Rémi rencontre Fanny Vlamynck, coloriste aux Studios Hergé. Durant trois ans il vit tiraillé entre sa femme Germaine et Fanny. Son divorce sera prononcé en 1960.

À la même époque il sombre dans la dépression. Des cauchemars récurrents, où il voit tout en blanc, le poussent à consulter un psychanalyste qui lui conseille d'arrêter la création. Mais Tintin au Tibet est publié en 1960. Cet album sombre et dépouillé, dont le personnage central, le migou, est une bête pathétique diabolisée par les humains, sera son exutoire. « Je me suis accepté… J'ai accepté de n'être pas immaculé. Et c'est tout cela, Tintin au Tibet. »

En 1963 les éditions Casterman publient Les bijoux de la Castafiore dont l'intrigue traduit une volonté de se départir d'un certain nombre d'idées reçues. En effet on y découvre que l'émeraude de la cantatrice n'a pas été volée par les tziganes, que tout le monde accuse à priori mais que Tintin croit innocents depuis le début.
Au fil de cette œuvre foisonnante, probablement l'une de celles qui traduit le plus sa maturité, Hergé prend du recul par rapport à son propre univers. Pour la première fois Tintin et Milou ne dirigent plus les événements mais les subissent, ils sont aussi plus à l'écoute de l'autre. L'intrigue, dont la clé sera fournie par une pie, est aussi plus complexe qu'auparavant: ils ne suivent plus une piste précise mais sont déstabilisés par une multitude de pistes qui ne les mènent nulle part ; et les médias, qui commencent à mentir aussi, ne leur serviront pas de repère …

Le dernier album publié de son vivant sera Tintin et les Picaros en 1976. Les éditions Casterman publieront en 1986 Tintin et l'Alph-Art, resté inachevé à la mort d'Hergé.

En 1971 il confiait à Numa Sadoul :
« Au fond, dans ma jeunesse, je composais mes Tintin sans trop m'interroger, sans trop raisonner. Maintenant je réfléchis plus, je médite d'avantage : sur ce que je vois autour de moi et sur moi-même. Et surtout, surtout, j'essaie de m'accepter comme je suis. »

Hergé s'est éteint le 3 mars 1983 à Bruxelles.



 

Sources :
Hergé : exposition, Paris, Centre Pompidou, 20 déc. 2006 – 19 févr. 2007 ; Moulinsart.
Hergé, Pierre Assouline ; Gallimard.
Tintin et moi : Entretiens avec Hergé, Numa Sadoul ; Casterman.


Bibliographie