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Joseph Beuys : centenaire d’un incorrigible de l'art

Une actualité de Jérémy Gadras
Publié le 29/05/2021
Gilet de pêche, chemise blanche, éternel chapeau en feutre, visage émacié au regard moqueur, vif, parfois mystique, Joseph Beuys fait office de légende tant l’homme et l’œuvre gardent une part de mystère et fascinent encore jusqu’à devenir l’emblème de l’artiste impénitent de l’ « art conceptuel ». À travers ses œuvres plastiques, ses vidéos, ses performances et ses installations, cet allemand né en 1921 allait devenir un agitateur du monde culturel, précurseur d’actions artistico-écologiques, orateur hors pair et chaman aux œuvres impétueuses au point d’être présenté comme « un démon de l’ordre public » par la presse américaine.

100 ans après la naissance de cet artiste prophétique, et 35 ans après sa mort, certaines de ses harangues et allégations résonnent encore comme l’écho d’une charge venue abattre l’art convenu et les poncifs dominants des années 60, tels des :

  « CHAQUE ÊTRE HUMAIN EST UN ARTISTE »

  « Seul l’art est capable de démanteler les effets répressifs d’un système social sénile qui continue de chanceler vers sa propre fin…
 »

   « Quand on me demande si je suis un artiste, je dis : Arrête tes conneries”. Je ne suis pas là pour décorer ce système pourri, délabré, puant. Je ne suis pas un artiste. Sauf si nous nous considérons tous comme des artistes.  Dans ce cas, je suis d’accord. Autrement, non. »

    « Pour moi, l’œuvre d’art est devenue une énigme dont la solution devait être l’homme même – l’œuvre d’art est l’énigme suprême, mais l’homme est sa solution.

De Fluxus à la « Sculpture social »

L’œuvre et la pensée de Joseph Beuys s’inscrivent dans la tradition d’un idéalisme social partant du principe que l’artiste n’a pas la fonction ni l'ordre politique de changer le monde mais doit agir en posant son art comme modèle, en posant une action comme l’archétype d’un changement possible.

Rejetant le slogan romantique de « l’art pour l’art » et la gratuité de l’acte artistique, une nouvelle génération d’artistes allait remettre en question l’utilité même de l’art, ambitionnant d’intégrer l’« art dans la vie » là où le modernisme autoritairement de l’époque plaidait pour leur séparation. Reprenant à leur compte l’indiscipline laissée par Dada, le mouvement Fluxus allait représenter cette mouvance : un nouvel art international et transdisciplinaire inspiré de Duchamp, Tzara, Kaprow, John Cage. Abolissant les frontières entre l’art et la vie, désacralisant l’art, sous l’impulsion de l’artiste George Maciunas Fluxus allait valoriser le mode d’action direct, le happening, la performance, et aux côtés de Nam June Paid ou George Brecht, Joseph Beuys fut l’un des éminents protagonistes de ce mouvement poussant plus haut la chansonnette d'un « non-Art » soufflée par Dada.
Représentant de l'avant-garde allemande, dès les années 68-70, Beuys transpose dans ses œuvres son idéal de démocratie soutenu par l’idée que le potentiel créatif est universel et que chacun peut contribuer à la société. Suite aux enseignements de Bertolt Brecht, de Walter Benjamin, de Max Weber, l’engagement politique de l’artiste implique son jugement face aux institutions, face à l’idéologie dominante de l’art, mais engage également son intervention dans l’espace public. Cette nouvelle position de l’artiste porte dès lors son travail sur un terrain plus sociologique et politique, induisant par la même un regard plus « anthropologique » de l’activité artistique.
Proche des positions de l’artiste Fred Forest qui déclarait que « l’art sociologique considère le fait social comme « œuvre d’art » », influencé par les théories de Rudolf Steiner (créateur de l’anthroposophie), Beuys définit son travail comme une « sculpture sociale », militant pour l’extension de l’activité artistique à l’espace social et politique. Son fameux « CHAQUE ÊTRE HUMAIN EST UN ARTISTE », ouvre les prémices d’actions artistiques conçues comme un ensemble de « démarches relationnelles » où le « nous » l’emporte sur le « je » égocentrique de l’artiste, formant ainsi un nouveau corps social. Un tropisme de l’art contemporain prenant son origine théorique dans le pragmatisme de John Dewey (avec son concept d’enquête alliant l’épistémé et la praxis d'une activité), dans les œuvres de Fluxus, de Dada et dans les thèses plus anciennes de Max Weber (Économie et société, 1921). Seulement pour Joseph Beuys, ce « champs élargi de l’art » conduit à ce qu’il nommera la « sculpture sociale » : une remise en question plus large de la définition de l’art sous le prisme du social, et une remise en cause de l’image de l’artiste solitaire. Une classification inédite motivée par la seule et impérative conviction qu’une société démocratique n’est possible que si l’art est intégré à tous les domaines de la vie et de l’éducation.

De quelques œuvres et actions artistiques

Professeur à l’Académie de Düsseldorf, engagé dans les années 70 dans un activisme politique proche de l’extrême-gauche de l'organisation Baader-Meinhof et co-fondateur du mouvement des « Grünen » (les Verts allemands »), Joseph Beuys fut plus qu’un artiste mais un orateur important professant des manifestes et débats d’idées tant sur le plan politique qu’économique, écologique que philosophique. Outre ses œuvres plastiques et ses performances, Beuys considère ses conférences comme de réelles performances et sculptures vivantes. Plusieurs de ses ouvrages seront par ailleurs des essais, thèses ou manifestes de ses démarches militantes, qui mêlent en théories artistiques et opinions politiques contre les souverainetés étatiques et immuables : Qu’est-ce que l’art ? avec le philosophe Volker Harlan ; Par la présente je n’appartiens plus à l’art ; Qu’est-ce que l’argent ; ou encore Bâtissons une Cathédrale en collaboration avec les artistes Jannis Kounellis, Anselm Kiefer et Enzo Cucchi, où se confrontent leurs positions sur les problèmes de la création dans l'Europe d'aujourd'hui.



I like America and America likes me
L’une des performances spectaculaires les plus connues et citées de Beuys. En 1974, arrivant de l’aéroport JFK en ambulance, enveloppé de feutre et sur une civière, et jusqu’à la galerie René Bloch à New York, il s’enferme dans une cage pendant 3 jours et 3 nuits avec un coyote (animal sacré des Indiens en partie exterminé par les colons). Il quittera la galerie de la même manière, sirènes hurlantes, jusqu’à aéroport JFK, sans intermède mondain, sans participation à la vie sociale américaine et sans jamais toucher le sol américain en guise de protestation contre la politique impérialiste et militariste du gouvernement américain au Vietnam.


Wieman dem Toten Hasen die Bilder Erklärt (Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort),
En 1965, la tête recouverte de miel (substance symbolique et lien entre les sphères terrestres et célestes dans diverses mythologies) et de feuilles d’or, il berce dans ses bras un lièvre – symbole de la revitalisation et de la renaissance. Il lui parle, lui présente les œuvres, philosophe toute en le caressant.

Uberwindet Endlich die Parteiendiktatur
(Écrasez enfin la dictature des partis)
En 1971 à Düsseldorf, Joseph Beuys manifeste avec ses étudiants contre l’extension et l'implantation de plusieurs terrains de tennis en forêt. Ensemble, ils balayent le sol avec des balais en bois, et sur chaque arbre menacé d’être abattu, ils peignent des croix et des cercles blancs.

Dokumenta 5
de Kassel en 1972
En cent jours de débats, Beuys intervient avec le public sur l’art et la démocratie.
Une intervention considérée comme œuvre d’art, Beuys étant lui-même une sculpture parlante et philosophante.


Dokumenta 7 de Kassel en 1982
Beuys est à l'origine de
la plus grande sculpture écologique en perpétuelle mutation, 7000 Eichen (7000 chênes). Le jour de l’inauguration de la Documenta 7,  il plante le premier des chênes devant le musée Fridericianum et c'est cinq ans plus tard, lors de la Dokumenta 8, que son fils plantera le 7000ème.

Catalogue du centenaire :

Écrits de Joseph Beuys

Monographies et écrits sur Joseph Beuys

Les années Fluxus