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Les écrivains à l'essai

Une actualité de Véronique M.
Publié le 17/02/2017
Les écrivains sont-ils meilleurs commentateurs de la littérature que les essayistes, les universitaires ou les journalistes ? À cette question, nous vous proposons une dizaine de parutions récentes d’essais critiques écrits par des romanciers. Ceux-ci témoignent qu’à côté de leurs fictions, les auteurs proposent des réflexions qui approfondissent notre lecture de leurs textes et mettent à l’honneur leur seule préoccupation : la littérature.
Dans son premier essai récemment paru, Sophie Divry, auteure de 4 romans, s’interroge sur la « chape anti-théorique » qui pèse injustement sur les romanciers français contemporains depuis une trentaine d’années (ce qui correspond selon l’auteure à la fin de l’école du « Nouveau Roman ») contraints à ne jamais questionner le genre qu’ils pratiquent, contrairement aux théoriciens jugés plus légitimes (universitaires, critiques littéraires). Donnant aux primo-écrivains (ou ceux qui rêvent de franchir le pas) les outils nécessaires en combattant certains clichés tenaces, Rouvrir le roman est un stimulant et nécessaire plaidoyer en faveur des pouvoirs et de la vitalité du roman, malgré sa mort maintes fois annoncée.

Charles Dantzig refuse d’être considéré comme critique littéraire. Pourtant, l’auteur de romans et de poèmes est aussi connu pour avoir écrit des essais sur la littérature, dont le fameux Dictionnaire égoïste de la littérature française en 2005. Ce dernier accompagne la réédition d’un court texte ancien « La guerre du cliché » ainsi qu’un inédit intitulé « Ma république idéale » dans un volume de la collection « Bouquins », Les écrivains et leur monde (éditions Robert Laffont). Sans donner de leçons, il invite à déambuler parmi ses écrivains de prédilections (Proust, Gide, Balzac…) tout en fustigeant la tendance utilitariste et la médiocrité qui menacent selon lui la littérature.

Olivier Cadiot ne prend pas non plus la posture du spécialiste ou de l’exégète mais tient à rester pleinement écrivain en nous proposant son Histoire de la littérature récente. À la fois méthode, pratique, et tout son contraire (le titre ironique de cet essai nous met en garde), il enquête dans une forme enjouée et énergique sur la prétendue disparition de la littérature, prétexte à rendre compte de ses heureuses contradictions et de l’agitation merveilleuse de l’écriture qui n’a aucune visée thérapeutique pour l’auteur ou son lecteur.

Gare en effet à se méprendre sur la littérature comme remède miracle, sorte de prêt-à-penser et à panser : Régine Detambel défend quant à elle une « bibliothérapie créative », redonnant à la lecture de fictions le pouvoir de nous soigner et de nous aider à vivre en s’ouvrant à la liberté d’interprétations infinies que la rencontre avec un roman, un poème suscitent en chacun de nous.

Selon Belinda Cannone, s’émerveiller revient à « accéder à la disponibilité poétique au monde », et tient à la fois du regard désirant et de l’objet regardé qui peut être banal ou sublime. Ponctué de photos noir et blanc commentées, la romancière essayiste se tient en marge du « nihilisme ambiant » en redécouvrant cette faculté humaine capable de magnifier et éterniser chaque instant de vie.

Nancy Huston fait un éloge de l’imaginaire dans son essai L’espèce fabulatrice, car l’humain est le seul être vivant capable de se réinventer perpétuellement par le truchement des histoires qu’on (lui) raconte depuis la nuit des temps. Nous sommes tous des êtres de fictions, tissés de multiples récits (mythes, contes, religions, identité, langues..), socles de notre culture commune et la raison de notre besoin et amour de la littérature.

De Thomas More (1516) au projet « Nutopia » des artistes John Lennon/Yoko Ono dans les années 1970, en passant par Rabelais, Jonathan Swift, ou encore Charles Fourier, l’homme a toujours rêvé d’autres modèles de société. Dans la lignée de la parution récente de ses Voyages imaginaires (Robert Laffont, collection Bouquins), l’érudit passeur Alberto Manguel nous transporte dans un voyage littéraire à travers 5 siècles d’utopies et une vingtaine de textes commentés dont les extraits sont magnifiquement mis en valeur dans un beau volume richement illustré.

Alors que le premier roman de Javier Cercas (Le Mobile, écrit en 1987) vient d’être réédité, paraît en parallèle dans la collection « Un endroit où aller » un texte théorique magnifique sur le point aveugle que doit atteindre toute littérature : « écrire un roman consiste à plonger dans une énigme pour la rendre insoluble, non pour la déchiffrer (à moins que la rendre insoluble soit, précisément, la seule manière de la déchiffrer). Cette énigme, c’est le point aveugle, et le meilleur que ces romans ont à dire, ils le disent à travers elle : à travers ce silence pléthorique de sens, cette cécité visionnaire, cette obscurité radiante, cette ambiguïté sans solution. Ce point aveugle, c’est ce que nous sommes. » Loin d’un passe-temps simplement divertissant, l’écrivain espagnol s’appuie sur des exemples illustres tels Cervantès, Flaubert, Borges ou Vargas Llosa et explique que le roman sert à « faire vivre le temps » et à changer le monde dans le rendu de sa fascinante complexité.

On connaissait Gabriel Garcia Marquez comme auteur de chefs-d’œuvre tels Cent ans de solitude ou Chronique d’une mort annoncée. Après un recueil de poésie inédite, les éditions Seghers publient les retranscriptions d’ateliers d’écriture menés par le prix Nobel de littérature dans les années 1980 à Cuba pour répondre à cette question infinie : « comment raconter une histoire ».

À travers l’exemple de 5 écrivains algériens de langue française (Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud et Boualem Sansal), la sociologue et romancière Kaoutar Harchi s’interroge dans Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne sur la valeur littéraire à travers le choix d’écrire dans une langue étrangère et de ne pas être reconnu pour autant par l’intelligentsia française.

Parallèlement à son nouveau roman Beauté (Grasset) et dans la lignée de Complots (Gallimard), Philippe Sollers part en guerre contre certains censeurs qui le condamnent et rabaissent selon lui le débat intellectuel. Cet « indéfendable », éternel insoumis, rappelle alors les exemples d’écrivains de la liberté tels Voltaire, Stendhal, Céline, Proust, Georges Bataille ou encore Hegel, et les souvenirs de ses amis Guy Debord, Philippe Muray, Simon Leys, Roland Barthes.

Dans Conversations d’un enfant du siècle réédité au Livre de Poche, Frédéric Beigbeder s’entretient (ou feint de dialoguer) avec quelques illustres auteurs qu’il met à son panthéon personnel avec l’humour désinvolte qui le caractérise. Le lecteur y retrouve son goût pour la littérature américaine (Fitzgerald, James Salter, Tom Wolfe, Jay McInerney) souvent subversive (Bret Easton Ellis, Charles Bukowski, Chuck Palahniuk) et on découvre d’autres interlocuteurs interviewés contemporains souvent critiqués dont le « guerrier du goût » Philippe Sollers, Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut, Bernard-Henry Lévy, sans oublier lui-même qu’il convoque en dernier lieu pour une « auto-interview » dont cet impertinent a le secret.

Leïla Slimani, lauréate du dernier prix Goncourt pour Chanson douce (Gallimard), écrit pour la revue hedomadaire « Le 1 » plusieurs textes engagés. Six d’entre eux ont été retenus pour figurer dans un petit livre, Le diable gît dans les détails. On y retient des textes puissants en écho avec la terrible actualité qui a agité la France en 2014 et 2015, ainsi qu’une ode à la littérature, instrument d’expression libre et de lutte qu’elle n’a jamais cessé d’être malgré certains fossoyeurs : « Parce qu'elle est un immense espace de liberté, où l'on peut tout dire, où l'on peut côtoyer le mal, raconter l'horreur, s'affranchir des règles de la morale et de la bienséance, la littérature est plus que jamais nécessaire. »

Bibliographie