Entre Réalité et fiction : B. Moody, M. Boujut, N.
Tosches
Quand le polar mêle la réalité à la
fiction, Chet Baker, Louis Amstrong, ou Dean Martin - "Dino"- deviennent des
personnages de romans sous la plume de Bill Moody, de Michel Boujut ou de Nick
Tosches. S'inspirant bien évidemment de la vie de ces célèbres musiciens ou/et
chanteurs, Sur les traces de Chet Baker
, Souffler n'est pas jouer , ou Dino ont
ceci de passionnant qu'ils mettent en scène tout le contexte et l'ambiance d'une
époque : les jazzmen américains venus se réfugier en Europe où leur talent est
reconnu, en particulier à Amsterdam, fourmillement des années trente au rythme
syncopé de la trompette d'Armstrong où l'on croise, entre autres,
Joséphine Baker, Henry Miller, Boris Vian, portrait de l' Amérique des
années 50 où défilent les immigrés italiens, la mafia, Hollywood, les
Kennedy, Las Vegas, Sinatra et le "ratpack"... L'intrigue passe au second
plan sans pour autant spolier le lecteur : la vie de ces célébrités constitue en
effet en elle-même un roman où tous les ingrédients sont présents : violences,
drogues, détournement d'argent et trahisons en tous genres, mais avec talent
!
Dans le milieu musical : L. Satie, J. Williams, D.
Sylvain, J. Ridley, C. Holden, D. Goodis
Comme
le montrent les biographies ou les romans inspirés de personnages réels, le
monde de la musique est propice à dépeindre les marginaux, les surdoués oubliés
par la vie et rongés par la drogue et l'alcool... On peut alors croiser les
pires turpitudes de violentes petites frappes ou les errements de musiciens et
de leur entourage...
A la recherche de Rita
Kemper
, Série Noire écrite par Luna Satie, illustre bien cette
situation où un groupe en passe de devenir "the next big thing" se désagrège
complètement, en raison de l'usure physique et mentale de chacun de ses membres
rattrapés par le meurtre et le scandale, à un rythme effréné et synthétique,
pour un final apocalyptique, comme il se doit !
John Williams revisite les années quatre-vingt de
manière plus mélancolique dans Gueule de bois , où un homme a vu "son"
groupe devenir célèbre, rattrapé par une vieille affaire de meurtre qui les
concerne tous et qui pourrait bien ternir certaines réputations... John
Williams, gallois, a, de plus, commis deux magnifiques romans sur Cardiff
(Cardiff dead et Cinq pubs, deux bars et une boîte de
nuit
), entre ska roots et ska eighties, son métissage culturel et sa vie
nocturne, parus tous deux à l'Esprit des Péninsules.
Les romans de Dominique Sylvain sont bourrés de références musicales : ses personnages, aux goûts éclectiques, écoutent aussi bien Janis Joplin, Jam & Spoon, Mozart, que Morcheeba, Vivaldi, Brel, Miossec, en passant par Bach, Coltrane, Parker, The Beatles, Ravel. Vox s'ouvre sur le meurtre d'une animatrice de radio et met en scène un tueur fasciné par la voix, qui enregistre les râles de ses victimes. Dans Strad l'intrigue elle-même est musicale et tourne autour du vol d'un stradivarius dérobé chez un antiquaire.Techno bobo évoque rave party et dope dans l'underground musical résolument trash.
John Ridley combine deux éléments propres aux romans noirs et à
la musique : le perdant magnifique et le mystérieux objet que tout le monde se
dispute. Dans Tout le monde grille en
enfer
, il s'agit de l'album solo et secret, sous forme de cassette DAT, du
chanteur d'un groupe mondialement connu - on peut y voir Kurt Cobain, en raison
de sa triste fin, ou Thom Yorke, au hasard... Le héros (malgré lui) hérite
donc de cet enregistrement et tente d'en négocier la vente, poursuivi par
l'agent artistique et des trafiquants de drogue - époque oblige - ainsi que par
la police qui suit tout ce monde à la trace.
Lady Jazz , de Craig Holden,
est le surnom de Imogene Remus, femme du bootlegger George Remus, dont
l'habileté à contourner les lois sur la Prohibition a fait date (le livre est
inspiré d'un fait divers). Fille d'une famille de juristes en vue de Cincinnati,
épouse un malfrat arriviste, elle fait preuve d'un goût immodéré pour le whisky
et surtout pour le jazz... Les Big Band et autres orchestres accompagnent
systématiquement l'héroïne, de clubs de jazz mal famés en cocktails huppés
organisés par ses soins. Une manière de redécouvrir la Prohibition et les années
folles grâce à une trajectoire peu commune : celle de la victime d'un crime
passionnel.
Enfin, comment ne pas évoquer David Goodis et son immense et désormais classique Tirez sur le pianiste (on se souvient du film que François Truffaut en a tiré) dont le héros, pianiste prodige, vivote dans un bouge en jouant des ritournelles sans même y penser. Un roman atypique où la musique n'est jamais réellement mentionnée alors que des notes de piano s'égrènent à chaque page...