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Lisa Bresner, femelle obscure, femme au foyer

Publié le 28/06/2012
Lisa Bresner, femelle obscure, femme au foyer. Femelle obscure, le terme taoïste désigne la source continue du flux de la vie dans les premières pages du Tao te king, là où se tient la Racine du Ciel et de la Terre, femme au foyer, c'est, selon nous, la figure d'une chercheuse persévérante qui, toute seule, aura entretenu son feu. Hommage à Lisa Bresner écrivaine, sinologue, philologue et inclassable. Voici le lien avec le site consacré à Lisa Bresner : lisabresner.free.fr
Un texte de Denis Decourchelle, Ethnologue

« Quelqu'un interrogea Lie Zi :
- Pourquoi estimez-vous tant le vide ?
- Le vide se moque de l'estime.
- Quel nom peut-on donner au vide ?
- Aucun. Quand on tente de nommer l'ineffable, rien ne vaut le silence et le vide. Dans le silence et le vide, on trouve où demeurer. Brisez le silence, remplissez le vide, vous ne trouverez nulle part où aller. Celui qui, pour dissimuler ses erreurs et se disculper, commence à jouer avec la bienveillance d'autrui et la justice ne trouvera pas la vérité. » Extrait de Du vide parfait de Lie Zi, traduit du chinois et présenté par Lisa Bresner, édition Rivages poche.

D'où vient cette résistance à prendre en compte l'ensemble de l'œuvre de Lisa Bresner (1971-2007) : la misogynie tenace de notre société, le puritanisme circonspect d'une sinologie oublieuse du corps, l'abondance d'une production (une trentaine d'ouvrages), la prolixité des genres abordés (traductions, philologie, histoire, pédagogie, fictions et cinéma) et le suicide de son auteur à 36 ans, qui nous laisse plus désemparés encore, en sont quelques réponses. Reconduites bon gré mal gré à une introduction « enfantine » aux sortilèges d'une Chine intemporelle et à la mode, les publications de Lisa Bresner n'ont pas fini, pour autant, de « végétaliser » (1) au milieu des allées culturelles.

Mais goûtons plutôt. A titre d'apéritif, Tuiles intactes et jades brisés contient sept articles parus en revue qui fourniront au lecteur des viatiques savoureux avec quoi voyager et s'enivrer. Le premier, Les pères de la sinologie décrit à travers les démarches de Matteo Ricci et, trois siècles après, du Père Léon Wieger, la véritable « commotion » que ressentent les Jésuites face à la richesse de la pensée chinoise. Monnayant leurs connaissances en mathématiques, en astronomie, leur très bonne pratique de la langue, ils explorent les somptueuses nomenclatures parfois secrètes des textes taoïstes et inaugurent chez les Européens la reconnaissance d'une pensée du complexe et de la combinatoire qui fascinèrent Leibniz. Les articles suivants traitent d'une approche énergétique et non morale des différentes actions à ne pas commettre, des relations entre écriture et peinture (« Qui sera en mesure de bien tenir son pinceau, atteindra l'ultime état : peindre ou écrire sans traces »), la découverte des idéogrammes et de l'écriture par les Occidentaux, au détour de quoi on en apprend un peu sur les relations de l'auteur avec cette langue : « Ce qui m'intéressait franchement, c'était d'avoir découvert un langage très proche du dessin et du mouvement, à l'intérieur duquel il semblait qu'un vieux chaman respirait lentement et donnait à ses milliers d'idéogrammes une odeur sacrée, voire magique, mais surtout tenace depuis quatre millénaires ». Enfin, on trouvera une étude philologique des idéogrammes avec lesquels décliner le verbe être et les enjeux philosophiques de ces différentes options. Puis un très beau texte, pratiquement une dissertation, sur la notion de mélancolie en lien avec Lao Zi. « La mélancolie apparaît ici comme une vertu qui en chinois est synonyme de pouvoir, d'efficace. Elle distingue le penseur des hommes ordinaires (Su ren) et lui permet d'ignorer le monde, ses richesses et ses rituels, en restant seulement appliqué à se nourrir comme un nouveau-né. Faible, solitaire, démuni, prenant le ciel pour trésorier, incapable de rire non par tristesse mais par ignorance, le philosophe fait l'éloge de sa condition « d'inadapté ». »

Ce dernier thème sera développé dans l'ouvrage, Pouvoirs de la mélancolie. Chamans, poètes et souverains dans la Chine antique à partir du texte d'un poète du 4ème siècle avant J.C, Qu Yuan. Pour faire bonne mesure, on doit encore mentionner l'invention « romanesque » d'une vie de Lao Zi , auteur du Tao te king et la traduction de certains extraits de Lie Zi, Du vide parfait.

Les thèmes de l'œuvre romanesque de Lisa Bresner ont à voir avec le corps, le corps féminin et ses jouissances, l'érotisme de la sensation, la cruauté et bien d'autres domaines encore et il est à souhaiter que des rencontres, des journées d'études et des lectures publiques puissent nous y réintroduire, nous inviter à reconnecter ces notions et ces perceptions et, comme elle le dit à propos de la Chine, nous permettre de découvrir « cette toile d'idéogrammes [qui] sera longtemps notre filet, celui qui nous rassure, telle une parade à nos acrobaties les plus romanesques et les plus obscures ».

Lisa Bresner, femelle obscure, femme au foyer. Femelle obscure, le terme taoïste désigne la source continue du flux de la vie dans les premières pages du Tao te king, là où se tient la Racine du Ciel et de la Terre, femme au foyer, c'est, selon nous, la figure d'une chercheuse persévérante qui, toute seule, aura entretenu son feu.


Denis Decourchelle

(1) « La voie des graines. L'érotisme chinois et le végétal » in La Nouvelle Revue Française, N° 544, mai 1998.


Pour découvrir et re-découvrir l'œuvre de Lis Bresner, rendez-vous sur la page facebook du cercle de Lisa Bresner (www.facebook.com/pages/Cercle-Lisa-Bresner/153059440890) et baladez-vous dans la bibliographie bâtie par nos libraires :


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