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Mai 68, l'éternel retour

Publié le 28/04/2008
Livres, expositions, émissions de télévision, rétrospectives, couvertures de journaux et de magazines : mai 68 est partout. Quarante ans après, le poussiéreux événement ressort des greniers de l'histoire, suscitant une frénésie éditoriale, largement relayée par des médias avides de commémoration. Comment expliquer ce phénomène ? Pour quelle raison mai 68 est-il devenu le sujet incontournable du printemps 2008 ?

Le 29 avril 2007, lors du fameux discours de Bercy, Nicolas Sarkozy, alors simple candidat à l'élection présidentielle, fustige le « relativisme intellectuel et moral » hérité de 68 et annonce vouloir « tourner la page » d'un mouvement qui a selon lui sapé les notions d'autorité et de morale et introduit le « cynisme » dans la société : « plus de hiérarchie, plus de valeurs, plus rien du tout. »

Mai 68, une révolution nihiliste ? La diatribe provoque la colère des « anciens combattants de Mai». Défendant l'héritage et les acquis du mouvement, ils rappellent que leur révolte fut libératrice, et non une œuvre de destruction. Un an après, profitant du quarantième anniversaire, les soixante-huitards sont nombreux à répondre à Nicolas Sarkozy.

Le premier d'entre eux, Daniel Cohn-Bendit, las de devoir s'emparer à nouveau d'un épisode vieux de 40 ans, veut définitivement ranger mai 68 dans les placards de l'Histoire. Forget 68 (éd. de l'Aube) est son nouveau slogan : « Discuter sans fin sur mai 68 est une manière d'éviter de parler des problèmes d'aujourd'hui

Autre leader de mai prêt à brandir la plume, Henri Weber. Le député européen socialiste et cofondateur de la Jeunesse communiste révolutionnaire en 1965 publie Faut-il liquider mai 68 ? (éd. du Seuil), où il dénonce le « procès en sorcellerie » instruit par Nicolas Sarkozy. De son côté, Serge July, créateur du journal Libération en 1973, décrit avec Jean-Louis Marzorati La France en 1968 (éd. Hoëbeke) pour rappeler les origines du mouvement.

Au même moment, paraît Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy (éd. Denoël), coécrit par le philosophe André Glucksmann et son fils Raphaël, soutiens du candidat de l'UMP pendant la campagne électorale. Dans ce livre d'entretiens croisés, les auteurs racontent l'inexorable progression de l'idée soixante-huitarde dans la société.

Au-delà de ses effets sur l'univers contemporain, mai 68 est devenu un mythe, nourri par la nostalgie de ses hérauts. Des porte-étendards parfois schizophrènes, qui veulent tourner la page de 68 pour s'occuper du monde actuel tout en entretenant le souvenir d'un mouvement qu'ils regardent avec bienveillance.

L'omniprésence de mai s'explique par sa mythification. Adoubé par certains, rejeté par d'autres, devenu légende historique plutôt que vérité factuelle, 68 reste un enjeu de lutte intellectuelle, qui produit ses icônes, ses représentations et son imaginaire. Autant de thématiques que l'on retrouve dans l'abondante littérature de ces dernières semaines.

D'abord ses figures. Dany le Rouge, Alain Geismar, Henri Weber : les leaders de mai sont devenus des icônes derrière lesquels le mouvement social, porté par des anonymes, s'efface (68 : une histoire collective, de Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel, éd. La Découverte ; Mai 68 raconté par des anonymes de Nicolas Daum, éd. Amsterdam).

On trouve également sous le mythe quelques objets symboliques et fédérateurs : les barricades et les pavés (Mai 68 le pavé, Ed. Fetjaine) contiennent à eux seuls la violence révolutionnaire du mouvement.

Les représentations du phénomène 68 alimentent sa propre sanctification. Les affiches (L'Affiche en héritage, de Michel Wlassikoff, Ed. Alternatives) et les slogans (Les Murs ont la parole, de Julien Besançon, Ed. Tchou) tâchent de rendre compte de l'esprit fantasmé d'un mai léger, joyeux et poétique.

Comme tout mythe historique, mai 68 se regarde. L'événement possède un imaginaire qui lui est propre, souvent décliné de manière photographique (1968, de Raymond Depardon, Ed. Points Seuil ; La Révolte en images, de Laurent Chollet, Ed. Hors Collection).

Entre exégètes et pourfendeurs, héritage et liquidation, mai 68 se constitue, à l'aune de son quarantième anniversaire, une actualité nouvelle, parfois surfaite, mais toujours vivace. La littérature qui en procède, plus dense que jamais, témoigne de l'importance du mouvement dans l'histoire collective, dont le propre est de revisiter sans cesse ses événements fondateurs. Rendez-vous est pris dans dix ans, à l'occasion du cinquantenaire, pour vérifier si le mythe se perpétue.


- Jérôme Lefilliâtre