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Penser le temps de l’adolescence, penser l’intime avec Philippe Lacadée

Une actualité de Libraires
Publié le 25/07/2019
Tout cet été, retrouvez une invitation à la lecture tout aussi inhabituelle que stimulante : le psychanalyste Philippe Lacadée initie pour la librairie Mollat une série de petites conférences autour de l'adolescence. A partir de son expérience, il convoque toute la richesse de la littérature pour mieux expliquer ce qui se joue dans cette période de grande transition.

Toujours la littérature opère, interroge, saisit. Quiconque peut être convoqué par la part dénigme quelle comporte, puisque le destin de tout homme est tissé dans la matière des mots. Sy affronter nimplique pas de se détourner des affaires terrestres, des questions concrètes et/ou des interrogations existentielles, au contraire. Philippe Lacadée, dans ces vidéos, en témoigne, proposant une lecture orientée et vivifiante dœuvres singulières qui ont marqué les siècles récents, à partir notamment des difficultés que peuvent traverser aujourdhui des adolescents dont on voudrait taire la part de nouveauté, forcément scandaleuse, quils comportent.

Sintéresser à Balzac, Flaubert, Zweig, Rimbaud, Musil ou encore Salinger avec un regard original, instruit par la psychanalyse lacanienne, en ouvrant des portes daccès à ce qui en fait létrangeté profonde et linstable clarté, telle est lambition de Philippe Lacadée. Et, par leffet de ce choix, ce sont les maux que traverse notre époque qui se dévoilent sous des angles différents. Les lecteurs sy trouvent confrontés aux enjeux de la responsabilité subjective, à ce avec quoi ils peuvent assurément composer sils en repèrent lécho dans les œuvres quils rencontrent. Car si le discours scientiste a pu figer en des termes réducteurs les faiblesses dun âge de la « transition », les personnages de LAttrape-cœur, des Désarrois de lélève Törless ou encore du Lys dans la vallée, pour ne citer que quelques exemples, révèlent de quels tourments, de quel « exil » intérieur, ils sont la proie alors que leurs sens séveillent à linconfort dun ordre qui leur paraissait à jamais établi.

Philippe Lacadée nous invite tout d’abord à relire l’œuvre de Rimbaud, ce jeune homme un peu « voyou » qui, « pressé de trouver le lieu et la formule », marquait son rejet de toutes les figures de l’autorité disponibles pour lui. Il a quitté l’école à 14 ans, fugué plus tard jusque Paris et, chemin faisant, initié la littérature moderne à partir de sa poésie dite par lui « objective ». En portant une si essentielle part de son existence adolescente à cerner le point d’obscurité immonde qui l’habitait, il a pu démontrer dans la langue la nécessité de le prendre en charge pour « réinventer la vie », introduisant par là une « respiration », une coupure, fondée sur « le désir » et « le manque ». Dans une autre vidéo, Philippe Lacadée s’intéresse à un héritier de Rimbaud, Stefan Zweig. Ce dernier, révolté par le culte du diplôme qui avait cours au lycée et à l’Université, a choisi la voie de l’écriture libre. Ses affinités pour les choses de la jeunesse et du corps lui ont permis d’éclairer par ses touches pudiques ce qu’il en est du mystère de la féminité et comment le sujet, croyant que « l’amour, le désir et la jouissance » ne font « qu’un », doit affronter de la bonne façon le ratage inhérent au sexuel. Ailleurs, Philippe Lacadée convoque Balzac et Flaubert qui ont parlé de « la première rencontre amoureuse » dans certains de leurs romans et témoigné de l’impact des signifiants dont chacun peut user, de la modulation que peuvent contribuer à apporter la voix ou le regard. Enfin, dans la dernière vidéo consacrée à Musil et Salinger, Philippe Lacadée évoque le « désarroi », la « passion de la haine de soi », que peut éprouver le sujet quand l’appui sur les pouvoirs de la langue fait défaut, et il déploie quelques solutions inventives pour échapper à l’impasse.

A lheure les idéaux vacillent, la pulsion se situe sur le devant de la scène, les livres sont des abris à la solitude par le biais desquels chacun peut élaborer une voie à sa mesure, loin de toutes les tentations obscurantistes qui cherchent à effacer la possibilité du doute et de la pensée. Comprendre les positions de nos adolescents aux prises avec la « modernité ironique », parfois même quand ils sont habités par langoisse ou la haine, quand ils ne peuvent employer des mots justes pour exprimer leurs émotions ou leurs sensations, est un défi face auquel il est légitime de sengager avec sérieux. Seul un désir décidé en ce sens permet de répondre présent, avec lappui des grands auteurs qui savent si bien situer le désordre au creux même de notre étrange et pourtant si intime intériorité.

 

Sébastien Dau

Bibliographie