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Salve noire hispanophone chez Métailié !

Publié le 12/04/2011
Trois romans noirs, trois bonheurs... noirs
Les polars aussi font voyager, et les éditions Métailié qui font paraître simultanément trois titres ont embarqué tour à tour votre libraire pour le Mexique, le Chili et le Nicaragua. Le dépaysement n'est pas toujours de tout repos, il faut le dire, car la littérature du continent hispano-américain règle souvent des comptes avec le passé politique du pays, le régime en place, ou l'actualité. Sont ainsi monnaie courante : corruption, violences, drogue, vols, prostitution, trafics en tous genres, argent sale - l'énumération semble pouvoir s'étendre à l'infini... Noir, c'est noir.

Le jaguar sous les toits est le premier roman de François Arango. L'auteur, qui est français et vit à Paris, a fait ses études au Mexique et, si l'on en croit son livre, est tombé amoureux de ce pays qu'il semble connaître sur le bout des doigts tant par son Histoire, sa culture, que sa géographie et ses habitants – passion qu'il nous donne à partager, car on sort du voyage fasciné !
Le livre s'ouvre sur un gamin des rues qui, contre quelques billets, accepte la mission qui lui est confiée : sonner à un numéro de rue pour y déposer un paquet. L'enfant ignore que le coffret qu'il transporte contient le coeur d'un homme, arraché de sa poitrine selon le rituel ancien des sacrifices aztèques - le coeur de Daniel Lombardo Castillo, un homme d'affaires qui travaillait pour un gros laboratoire pharmaceutique – restitué ainsi à sa famille... D'étranges inscriptions sont gravées sur la boîte : un cryptogramme en nahualt et des symboles dessinés, comme si l'assassin avait voulu laisser un jeu de piste macabre à déchiffrer pour qui connaîtrait la mythologie aztèque... Après la découverte d'un deuxième cadavre – celui d'un haut fonctionnaire du ministère de la Santé - incisé selon le même mode opératoire, l'enquête va prendre une tournure politique et mettre en avant les enjeux financiers que pourrait générer l'exploitation de la médecine naturelle et ancestrale des Indiens...

Avec Ramon Diaz-Eterovic, on déambule dans les rues de Santiago du Chili en compagnie de son privé, Heredia, dont c'est la cinquième enquête après : Les sept fils de Simenon, La mort se lève tôt, Les yeux du coeur et La couleur de la peau. Il nous avait manqué, Heredia, trois ans sans avoir de ses nouvelles, c'est long ! On le retrouve avec sa petite musique familière, qui nous rend ce personnage si attachant : sa mélancolie du quotidien, son désenchantement à vivre, ses réflexions douces amères sur le temps qui passe, son amour des livres... (Ses conversations avec son chat sont toujours aussi étonnantes ! C'est d'ailleurs souvent Simenon qui a le dernier mot – pour l'anecdote : entré un jour par effraction dans la vie d'Heredia, se glissant par la fenêtre, et s'étant installé sur une pile de livres de Georges Simenon, le chat avait trouvé son nom).
Dans ce nouvel opus, L'Obscure mémoire des armes, Heredia est engagé par une femme qui le charge d'enquêter sur la mort de son frère, German Reyes, abattu par balles par deux hommes à la sortie de son travail. Trente ans auparavant, lors du coup d'état militaire de Pinochet, German avait été arrêté et fait prisonnier à la Villa Grimaldi, sinistre lieu de tortures. Contrairement à d'autres, il en est sorti vivant mais cette terrible expérience l'a amené à s'impliquer dans une association s'occupant de dénoncer les bourreaux qui, en toute impunité, continuent de vivre leur vie cachés sous d'autres identités, sans jamais avoir expié leurs crimes. Heredia a l'intuition qu'il va lui falloir creuser dans cette direction pour trouver les raisons du meurtre... Pour l'anecdote, Ramon Diaz-Eterovic était à Bordeaux le week-end dernier, à l'occasion de la manifestation l'Escale du livre, et votre libraire, qui a osé l'approcher, a appris avec stupeur qu'au Chili venait de paraître la quatorzième enquête de Heredia ! (Si votre libraire prend des cours d'espagnol en accéléré, vous saurez désormais pourquoi).

Sergio Ramirez s'est engagé aux côtés de la révolution sandiniste, il a exercé les fonctions de vice-président du premier gouvernement élu en 1984 au Nicaragua et est aussi reconnu comme écrivain. En France, une poignée de ses ouvrages ont été traduits, dont son autobiographie politique. Il pleut sur Managua nous fait découvrir son pays versant polar, entre burlesque et noirceur. « Entre deux orages, Managua est traversée par des processions religieuses délirantes, des manifs de toubibs, des embouteillages monstres, au milieu des ruines du tremblement de terre de 1972, des bidonvilles et des quartiers chics. Les anciens guérilleros sont devenus flics, bandits, notables, employés, les trahisons vont bon train, et les narcos courent toujours ». On fait connaissance avec l'inspecteur Dolores Morales, chargé d'enquêter sur un yacht abandonné à Laguna de Perlas. Des traces de sang induisent à penser qu'un meurtre a été commis sur le bateau. L'endroit est connu pour être un passage fréquemment emprunté par les trafiquants de drogue en provenance de Colombie… Le plaisir de cette lecture tient surtout à l'intrigue à rebondissements, qui est servie par des personnages truculents, aux dialogues savoureux. Un peu d'humour dans ce monde de brutes, ça fait du bien !

Alors, bonnes lectures, et bon voyage !

La trilogie noire