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Son nom disait l'étrangeté...

Publié le 30/09/2003
Edward Saïd, américain, grande figure de l'intelligentsia paletinienne, était un homme indépendant aux identités multiples.

Son nom disait l'étrangeté : le prénom d'un prince de Galles allié à un patronyme arabe.

Né à Jérusalem en 1935, il a été l'un des huit cent mille Palestiniens expulsés en 1948 "sans droit au retour".

Exilé adolescent en Egypte, au Liban puis aux Etats-Unis, il défendait la cause palestinienne et condamnait le terrorisme autant que la solution militaire. Militant dès les années soixante dix pour un état bi national, il refuse les accords d'Oslo et se sépare d'Arafat en 1993 qu'il accuse d'incompétence et de corruption.

Homme multiple : critique, penseur, théoricien littéraire, musicologue, Edward Saïd était sans contexte l'intellectuel palestinien le plus connu au monde. Rendu célèbre, il y a une vingtaine d'années, par un livre sur l'orientalisme, il n'a depuis cessé de déranger.

Ce texte alors innovateur, dénonce une culture occidentale ethnocentriste enfermant dans son propre système de représentation l'Orient. "Le savoir sur l'Orient, note-il, parce qu'il est né de la force , crée en un sens l'Orient, l'Oriental et son monde."

L'analyse qu'il fait de l'orientalisme révèle plus largement la manière dont l'Occident, au cours de l'histoire, a appréhendé "l'Autre."

En vérité, "l'outsider" qu'il était, a toujours tenté de représenter "l'Autre" de façon acceptable, en s'interrogeant essentiellement sur la validité du découpage de la réalité humaine en compartiments : cultures, histoires, traditions, races, et sur la définition arbitraire des frontières.

Multiple aussi parce qu'il était l'exemple de l'intellectuel témoin libre. En prenant la défense des Palestiniens, Edward Saîd ne faisait que mettre en pratique sa conception du rôle de l'intellectuel. Dans Des intellectuels et du pouvoir, il écrit "l'intellectuel, au sens où je l'entends, est quelqu'un qui engage et qui risque tout son être sur la base d'un sens constamment critique."

Cette farouche indépendance a marginalisé le penseur. Censuré en Palestine, un nombre réduit de ses ouvrages est disponible en France.

En 2002, la presse avait pourtant salué son autobiographie "Out of place", curieusement traduite par "A contre-voie".

Enfermé dans la maladie, il avait consacré six ans au récit intime d'une vie toujours ailleurs. Parce qu'il avait l'impression "d'être un flot de courants multiples, un nomade, un exilé de l'intérieur", il a revisité sa vie sous l'angle tragique et triomphant de la maladie mortelle. Ce récit est le retour à son enfance, à sa terre, à un passé disparu. C'est tout un travail sur soi qui l'a tenu éveillé.

L'écriture mais aussi le piano. Car c'est au fond , tout simplement, par la musique que cet éternel dispersé se rassemblait. Son dernier livre, des entretiens avec Daniel Barenboïm, réuni deux grands personnages aux "géographies" personnelles parallèles autour de leur passion commune pour la musique.

Mort à New-York, à 67 ans, c'est grâce à son implication et à son engagement, à sa puissance de réflexion alliée à son érudition, que l'œuvre d'Edward Said restera toujours vivante.

A lire aussi, son dernier article paru dans le Monde Diplomatique de septembre 2003. Vingt cinq ans après la publication de "l'Orientalisme", il persiste et signe :

"Si elle est authentique, la volonté de comprendre les autres cultures exclut toute ambition dominatrice. Là est l'humanisme. Sinon la barbarie l'emporte".

 

Edward Saïd (D.R.)

 

Repères biographiques :

Né en 1935 à Jérusalem dans une famille palestinienne chrétienne. Il a grandi au Caire et fait ses études aux Etats-Unis. Critique littéraire et spécialiste du Moyen Orient , il était professeur de littérature comparée à Columbia University.