Place à une obscure histoire dans une fiction empreinte de réel historique puisqu'elle relate le récit de morts oubliés, répondant au substantif Sonderkommando : groupe de prisonniers contraints à cheminer leur semblant aux chambres, aux fours, et si cela ne suffisait, forcé à nettoyer les restes de leurs congénères disparus. Travail sombre sorti du noir et mis à la lumière en 1h47 d'images filmiques où la machine de mort du Béhémoth est suggérée dans les attitudes et pérégrinations aussi folles qu'audacieuses de l'un des membres de cette infortunée association. Un sincère travail documentaire pour un « conte cinématographique » dont l'écriture « simple » s'épargne l'ornement fastueux des films historique. C'est à ce film ovni, et plus exactement à son réalisateur, que le livre de Didi-Huberman s'adresse avec une même modestie, une même simplicité et humilité sur 55 pages. Bref ouvrage par conséquent, mais non moins pertinemment employé à déployer les thèmes philosophiques, artistiques et historiques du film. Délicatement et simplement narré sous la forme d'une lettre adressée à ; ce texte ne s'économise pour autant l'analyse fine de certaines scènes ainsi que de l'apport d'un tel film dans la compréhension de l'histoire, de l'importance du rôle de l'image dans la fabrication d'une conscience collective, de son autorité, son engagement, mais également de la « souveraineté d'une image confrontée aux pouvoirs de l'histoire », objet posé ou thème itératif dans l'œuvre de Didi-Huberman. Cependant, et malgré la convocation dans les premières pages de la matrice adornienne sur le Noir et le Néant, l'on notera l'effacement tant de l'auteur que d'une érudition démonstrative au profit d'un discours plus sentimental, adéquat et sobre en délaissant à l'occasion l'analyse pompeuse, l'exploration et l'épluchage intellectualisant s'attardant dans des arguties souvent propices lorsqu'il se consacre à l'étude de l'Image. La candeur du film impose dès lors la sobriété et la modération du texte de Didi-Huberman. À l'instar du film, l'auteur tente de comprendre la part d'imaginable, de ressentiment et d'efficacité dont suscite l'Image ou les images de l'expérience des camps lorsque celles-ci sont filmées. Une pensée errante investit dans un raisonnement régressif qui aboutit sur une vérité que l'on n'imaginait pas ; tout au moins que l'on se gardait d'imaginer en y cernant seulement les contours. Une légitimation d'images sauvages, violentes dans la suggestion, à quoi répond l'ouvrage afin de toucher de plus près ce Temps des terreurs et où l'image est une conversation avec cet « autre réel », brutal, animal et hors de toute philanthropie.
Entre Nemes et Didi-Huberman, Saul, père sans enfant dont on suit la routine dans le camp, dont ni la parole ni le visage n'expriment ou communiquent son calvaire, mais donnent seulement forme à l'informe du fond brouillé volontairement par le réalisateur où se présente et se joue abruptement l'extermination des hommes.
« Votre Film, Le Fils de Saul, est un monstre. Un monstre nécessaire, cohérent, bénéfique, innocent ».
Incipit assez explicite sur le film de László Nemes, sur son sujet, thème dont l'auteur n'est nullement étranger si l'on se souvient de son ouvrage remarquable dont la position avait fait l'objet d'une polémique, Image malgré tout, sur les photographiques d' « Alex », anonyme « porteur de secrets » du Sonderkommando d'Auschwitz-Birkenau, suivant un questionnement similaire que l'on peut saisir en filigrane dans Sortir du Noir : voir une image, voir par l'image, cela peut-il nous aider à savoir ?
Cet ouvrage ainsi que le film sont disponibles à la librairie.