Une première approche peut être faite au moyen des nombreux
dictionnaires et autres ouvrages généraux, même si on peut en sélectionner trois
principaux, différents dans l'approche du sujet et complémentaires par les
informations qu'ils donnent.
Le plus simple est celui de Frédéric Encel. De
fait, son propos n'est pas de discourir dans l'abstrait, mais de présenter la
stratégie dans ses différentes théories et applications à travers 64
batailles ou portraits de stratèges. La première partie du livre est consacrée à
ces derniers, répartis entre théoriciens (comme Sun-Tsu, Clausewitz ou Mahan),
stratèges (César, Frédéric le Grand...) ou capitaines (Du Guesclin, Maurice de
Saxe...). La seconde partie présente la pratique en quelque sorte, dans un choix
de batailles, décisives (Iéna, Midway...), mythiques (Austerlitz, El Alamein...)
ou novatrices (Sadowa, La bataille d'Angleterre...).
Arnaud Blin et Gérard Chaliand, deux spécialistes des questions stratégiques et de défense ont coordonné un dictionnaire de stratégie militaire aux éditions Perrin. Il présente pour l'ensemble des civilisations les théories, les différents types de guerres, les stratèges et quelques notions (commandement, culture stratégique, désinformation...). La richesse de ses informations, sa longue bibliographie et la chronologie en fin de volume consacrée aux théories et batailles militaires depuis l'antiquité, en font tout à la fois un outil de travail et un ouvrage de référence.
Enfin, on peut terminer cette initiation par une anthologie des grands textes stratégiques, due au travail de Gérard Chaliand. Bon complément de l'ouvrage précédent, il permet d'appréhender la question de manière directe, et plus vivante que par les synthèses.
Enfin, impossible de finir sans préciser que les principaux
traités de stratégie sont disponibles en Français, c'est le cas pour les trois
auteurs les plus importants, un chinois, un prussien et un suisse qui, s'ils
différent par leur conception de la pratique, se retrouvent dans leur perception
du problème. En effet, et c'est certainement en cela qu'ils se distinguent des
autres théoriciens, ils sont conscients que la stratégie est inséparable de la
politique.
Le plus ancien des trois, Sun Tsu, aurait écrit son traité, L'art
de la guerre, entre le Ve et le IIIe siècle avant notre ère. Cette œuvre
capitale, prônant la guerre indirecte, influença les états asiatiques et même
l'Europe jusqu'à ce que cette dernière acquière la supériorité militaire au
cours du XIXe siècle, et ne fut redécouverte que pendant la seconde moitié du
XXe siècle, avec les succès de Mao et de la guerre révolutionnaire.
Conscient que la guerre est inévitable à tout état, il s'agit de tout mettre
en ordre afin de rendre le conflit le moins coûteux possible en fondant
une stratégie sur un usage modéré de la force, sur l'emploi de la ruse, la
démoralisation de l'adversaire, et la manipulation. C'est cet aspect de guerre
psychologique (rumeurs, intoxications, subversion et corruption des alliés de
l'ennemi ou de ses cadres), qui marque la particularité de cet ouvrage, premier
traité de stratégie (et l'un des rares d'ailleurs) à s'intéresser à cet aspect
de la guerre. On comprendra donc le regain d'intérêt pour cette œuvre dans les
états majors depuis la fin de la seconde guerre mondiale et l'apparition des
guerres révolutionnaires.
Le texte est disponible chez Economica, chez
Hachette, dans une édition qui a pour but de replacer cette œuvre dans son
contexte,
Il faut attendre plus de deux mille ans pour retrouver un
théoricien digne du premier, en la personne de Carl von Clausewitz, qui est de
loin le plus connu de tous, grâce à son ouvrage De la guerre. Sa propre histoire
lui permet de nourrir son œuvre, puisqu'il est à la fois militaire et
théoricien. D'abord cadet de l'armée prussienne, il intègre ensuite l'école de
guerre, gravit les échelons du commandement, et finit comme professeur à cette
même école. Il cumule donc expérience personnelle et connaissance des classiques
de la stratégie, à une époque charnière de l'histoire militaire, où les armées
deviennent des armées de masses nationales.
Deux principes dominent la
théorie de Clausewitz, la guerre comme continuation de la politique et
l'anéantissement de l'adversaire. Le premier principe est le mieux connu, qui
affirme que la guerre, la nature du conflit dépend du type de politique suivie,
idéalement la guerre sera absolue, sans limite logique, mais en fonction des
circonstances elle peut être plus limitée. Le but lui reste le même, il s'agit
de faire plier l'adversaire en détruisant ses forces armées, en occupant son
territoire et en faisant plier sa volonté. Pour ce faire Clausewitz développe
l'idée de centre de gravité, pivot de la puissance et des mouvements de l'armée,
l'art stratégique consistant donc à déterminer le centre de gravité de l'ennemi
et de le détruire, ce qui constitua d'ailleurs la base de la stratégie
napoléonienne. Ce traité reste encore important, par l'ampleur de sa réflexion,
et par l'influence qu'il exerça sur les états majors, notamment prussien. Trois
éditions de ce texte sont disponibles, la première aux éditions de Minuit,
présente le texte intégral, alors que les éditions Perrin offrent une version
abrégée, due à Laurent Murawiec et Gérard Chaliand, enfin la plus luxueuse est
due aux éditions Ivrea.
Le troisième théoricien qu'il faut mentionner est Antoine Henry
de Jomini. Suisse d'origine, il participe, comme Clausewitz, aux guerres
napoléoniennes mais dans le camp français, ce qui lui permet d'élaborer une
théorie basée sur la pratique. Comme Clausewitz il détermine la nature des
opérations militaires en fonction de la politique suivie. Le concept central de
l'œuvre de Jomini est celui de ligne d'opération, qui relie les bases
d'opération aux points d'attaque. Le bon plan dépend du choix judicieux de ces
lignes d'opération, avec la préoccupation de concentrer au point important une
force supérieure à celle de l'ennemi. Deux éditeurs proposent ce texte, Perrin
avec une introduction de Bruno Colson, spécialiste des questions militaires, et
Ivrea, avec le texte brut de Jomini. A noter que cet éditeur a publié d'autres
textes de réflexions stratégiques, à commencer par des textes de
Clausewitz.
Jomini a eu une grande influence notamment aux Etats Unis en la
personne de Alfred Thayer Mahan, créateur de la flotte américaine à la fin du
XIXe siècle.
Que les amateurs et les néophytes se rassurent, les ouvrages ne manquent pas sur le sujet, je ne peux donc que vous conseiller de venir jeter un œil sur notre rayonnage...
Bernard Forst