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Statégie

Publié le 22/10/2002
Que vous projetiez d'envahir l'Irak lors de votre prochain week-end, de lancer une OPA sur votre concurrent, de commencer une grande campagne de soldats de plomb, ou simplement si vous vous intéressez à l'histoire militaire, alors penchez vous avec moi sur les classiques de la pensée stratégique, qui, à l'instar des grands textes littéraires, résistent au temps et aux modes ; en atteste le retour en force de Sun Tsu...

Une première approche peut être faite au moyen des nombreux dictionnaires et autres ouvrages généraux, même si on peut en sélectionner trois principaux, différents dans l'approche du sujet et complémentaires par les informations qu'ils donnent.
Le plus simple est celui de Frédéric Encel. De fait, son propos n'est pas de discourir dans l'abstrait, mais de présenter la stratégie dans ses différentes théories et applications à  travers 64 batailles ou portraits de stratèges. La première partie du livre est consacrée à ces derniers, répartis entre théoriciens (comme Sun-Tsu, Clausewitz ou Mahan), stratèges (César, Frédéric le Grand...) ou capitaines (Du Guesclin, Maurice de Saxe...). La seconde partie présente la pratique en quelque sorte, dans un choix de batailles, décisives (Iéna, Midway...), mythiques (Austerlitz, El Alamein...) ou novatrices (Sadowa, La bataille d'Angleterre...).

Arnaud Blin et Gérard Chaliand, deux spécialistes des questions stratégiques et de défense ont coordonné un dictionnaire de stratégie militaire aux éditions Perrin. Il présente pour l'ensemble des civilisations les théories, les différents types de guerres, les stratèges et quelques notions (commandement, culture stratégique, désinformation...). La richesse de ses informations, sa longue bibliographie et la chronologie en fin de volume consacrée aux théories et batailles militaires depuis l'antiquité, en font tout à la fois un outil de travail et un ouvrage de référence.

Enfin, on peut terminer cette initiation par une anthologie des grands textes stratégiques, due au travail de Gérard Chaliand. Bon complément de l'ouvrage précédent, il permet d'appréhender la question de manière directe, et plus vivante que par les synthèses.

Enfin, impossible de finir sans préciser que les principaux traités de stratégie sont disponibles en Français, c'est le cas pour les trois auteurs les plus importants, un chinois, un prussien et un suisse qui, s'ils différent par leur conception de la pratique, se retrouvent dans leur perception du problème. En effet, et c'est certainement en cela qu'ils se distinguent des autres théoriciens, ils sont conscients que la stratégie est inséparable de la politique.
Le plus ancien des trois, Sun Tsu, aurait écrit son traité, L'art de la guerre, entre le Ve et le IIIe siècle avant notre ère. Cette œuvre  capitale, prônant la guerre indirecte, influença les états asiatiques et même l'Europe jusqu'à ce que cette dernière acquière la supériorité militaire au cours du XIXe siècle, et ne fut redécouverte que pendant la seconde moitié du XXe siècle, avec les succès de Mao et de la guerre révolutionnaire.
Conscient que la guerre est inévitable à tout état, il s'agit de tout mettre en ordre afin de rendre le conflit le moins coûteux  possible en fondant une stratégie sur un usage modéré de la force, sur l'emploi de la ruse, la démoralisation de l'adversaire, et la manipulation. C'est cet aspect de guerre psychologique (rumeurs, intoxications, subversion et corruption des alliés de l'ennemi ou de ses cadres), qui marque la particularité de cet ouvrage, premier traité de stratégie (et l'un des rares d'ailleurs) à s'intéresser à cet aspect de la guerre. On comprendra donc le regain d'intérêt pour cette œuvre dans les états majors depuis la fin de la seconde guerre mondiale et l'apparition des guerres révolutionnaires.
Le texte est disponible chez Economica, chez Hachette, dans une édition qui a pour but de replacer cette œuvre dans son contexte,

Il faut attendre plus de deux mille ans pour retrouver un théoricien digne du premier, en la personne de Carl von Clausewitz, qui est de loin le plus connu de tous, grâce à son ouvrage De la guerre. Sa propre histoire lui permet de nourrir son œuvre, puisqu'il est à la fois militaire et théoricien. D'abord cadet de l'armée prussienne, il intègre ensuite l'école de guerre, gravit les échelons du commandement, et finit comme professeur à cette même école. Il cumule donc expérience personnelle et connaissance des classiques de la stratégie, à une époque charnière de l'histoire militaire, où les armées deviennent des armées de masses nationales.
Deux principes dominent la théorie de Clausewitz, la guerre comme continuation de la politique et l'anéantissement de l'adversaire. Le premier principe est le mieux connu, qui affirme que la guerre, la nature du conflit dépend du type de politique suivie, idéalement la guerre sera absolue, sans limite logique, mais en fonction des circonstances elle peut être plus limitée. Le but lui reste le même, il s'agit de faire plier l'adversaire en détruisant ses forces armées, en occupant son territoire et en faisant plier sa volonté. Pour ce faire Clausewitz développe l'idée de centre de gravité, pivot de la puissance et des mouvements de l'armée, l'art stratégique consistant donc à déterminer le centre de gravité de l'ennemi et de le détruire, ce qui constitua d'ailleurs la base de la stratégie napoléonienne. Ce traité reste encore important, par l'ampleur de sa réflexion, et par l'influence qu'il exerça sur les états majors, notamment prussien. Trois éditions de ce texte sont disponibles, la première aux éditions de Minuit, présente le texte intégral, alors que les éditions Perrin offrent une version abrégée, due à Laurent Murawiec et Gérard Chaliand, enfin la plus luxueuse est due aux éditions Ivrea.

Le troisième théoricien qu'il faut mentionner est Antoine Henry de Jomini. Suisse d'origine, il participe, comme Clausewitz, aux guerres napoléoniennes mais dans le camp français, ce qui lui permet d'élaborer une théorie basée sur la pratique. Comme Clausewitz il détermine la nature des opérations militaires en fonction de la politique suivie. Le concept central de l'œuvre de Jomini est celui de ligne d'opération, qui relie les bases d'opération aux points d'attaque. Le bon plan dépend du choix judicieux de ces lignes d'opération, avec la préoccupation de concentrer au point important une force supérieure à celle de l'ennemi. Deux éditeurs proposent ce texte, Perrin avec une introduction de Bruno Colson, spécialiste des questions militaires, et Ivrea, avec le texte brut de Jomini. A noter que cet éditeur a publié d'autres textes de réflexions stratégiques, à commencer par des textes de Clausewitz.
Jomini a eu une grande influence notamment aux Etats Unis en la personne de Alfred Thayer Mahan, créateur de la flotte américaine à la fin du XIXe siècle.

Que les amateurs et les néophytes se rassurent, les ouvrages ne manquent pas sur le sujet, je ne peux donc que vous conseiller de venir jeter un œil sur notre rayonnage...

Bernard Forst