Un monde cadeau
Jean-François Paillard, Le
Rouergue
Imaginons l'homme ou la femme que nous
serions réellement et orientons nos pensées vers notre environnement. Nous
aurons alors la meilleure introduction possible à ce "monde cadeau" que nous
offre J.F.Paillard.
Lui : Part "vraiment à la bourre" effectuer la sale besogne de tentative d'expropriation en jetant à la figure d'une femme l'abjecte distinction de "citoyenne d'honneur" qui cache évidemment le désir qu'elle fiche le camp vivre ailleurs.
Elle: Laissée chez elle par ce mari au sale boulot, déprime largement dans ce monde d'ultra consommation qui n'arrange d'ailleurs pas son poids et lui laisse un goût amer quant au cadeau empoisonnée fait par son fils d'une l'horloge qu'on ne remonte plus.
Lui : S'esquive au cours de l'implacable réunion générale qui dévoile le fabuleux projet du "Domaine de Sapience un lieu de villégiature privilégié pour tous ceux qui recherchent, à l'aube d'une vieillesse active, la quiétude d'un espace résidentiel de luxe idéalement situé". Normal, il n'a pu déloger la dernière habitante afin que ce projet démarre et ne préfère pas prendre la parole devant les actionnaires et autres politiques conviés à cette réunion que l'on peut juger comme le morceau de choix de ce livre a plusieurs égards hilarant.
Elle : Convoite ardemment ce voisin à la force tranquille qui répare d'un coup de tournevis "cette alarme technique qui ne veut pas fonctionner".
Bienvenue dans le monde décoiffant de J.F.Paillard, nul doute qu'une certaine inquiétude se mêlera de temps en temps à votre irrépressible besoin de pouffer.
François Boyer
Expiation
Ian Mc Ewan, Gallimard
Un magnifique roman qui traite du mensonge des
enfants.
1935 : Dans une somptueuse
propriété Anglaise, Briony, 13ans, écrit des pièces de théâtre, laissant libre
cours à son imagination débordante. Elle pense aussi être amoureuse de Robbie
Turner, fils de d'une domestique, jeune homme cultivé, promu à un avenir
brillant, qui découvre qu'il aime Cécilia, sœur de Briony. Avertie et désavoué
dans ses premiers émois, cette dernière n'hésitera pas à basculer dans un
mensonge abject qui précipitera la vie de trois personnes dans le
drame.
Martine Borderie
Univers,
univers
Régis Jauffret,
Verticales
Le bleu piscine qui recouvre la couverture de cet épais volume
vous avertit : "attention ! risque de noyade"
Effectivement, on ne rentre pas dans
ce roman sans l'inquiétude qui peut saisir le nageur d'une eau qu'il devine
profonde : les sages, les raisonnables n'auront pas pied longtemps ; les autres,
les téméraires, ceux qui réclament aux romans les frissons du haut fond seront
enthousiasmés. Livre total qui multiplie les histoires, Univers, univers nous
confronte, comme tout grand livre, au sens de la littérature et nous oblige à
l'affronter, à nous y mesurer : "Fermez ce livre, à la rigueur ouvrez-en un
autre, un de ceux qui vous apprendront quelque chose (...). Ici, rien à
apprendre, le désert, un ruban de mots..." nous prévient Jauffret. Point de
leçon ni de démonstration, point de leurre ni d'argent du leurre, seulement,
dans le risque de sa totalité, de sa possible interminabilité (sic), les mille
déviations d'une vie morne, les minuscules infinis d'un personnage qui porte en
germe toutes ses vies mortes, tous ses noms imaginables. Le propos est simple
jusqu'à la caricature, jusqu'à cette outrance comique qui fait que l'on rit
volontiers à la folie de l'auteur : une dame mûre observe la cuisson de son
gigot en attendant le retour de l'Ulysse marital quotidien et l'arrivée
d'invités insupportables. Et en elle, autour d'elle, à travers d'elle, tel un
univers expansif éternellement, se dilatent des histoires aussitôt avortées ;
supernova bouillonnante, elle contient la somme folle de tout ce qu'elle ne
vivra jamais et que le romancier, démiurge qui peut tout, ose pour elle. Au
terme de cette aventure littéraire fascinante, on aura frôlé l'asphyxie dont on
sait, pour certains, qu'elle voisine avec l'ivresse et on aura compris ce que
peut être encore la littérature : "...cette façon de refuser de prendre au
sérieux la vie, de l'honorer, de se traîner à ses pieds pour la remercier d'être
au monde. C'est aussi s'apercevoir soudain qu'on est au-delà, loin du quotidien,
des trottoirs, des petits humains, et qu'on a l'impression de flotter, de
surplomber, en racontant une histoire de rien du tout, insignifiante, fruste, et
qui pourtant sert de véhicule à ce sentiment d'euphorie qui arrive peu à peu
quand on se met à écrire."
David Vincent
Musée du
silence
Yoko ogawa, Actes Sud
Dans son troisième roman, Yoko Ogawa ,à la
manière du cinéaste japonais Hirozaku Kore-Eda dans son film After life traite
de la vie après la mort. En inventant une passerelle, un
sas imaginaire entre le monde des vivants et celui du silence , elle esquive le
travail de deuil. Dans un environnement fantastique et intrigant, l'auteur nous
entraîne, guidés par un narrateur dans un manoir ou une vieille dame (il n'y a
aucun nom propre) collectionne des objets dont les propriétaires sont
définitivement morts. Pour chacun d'entres eux, elle nous raconte inlassablement
des anecdotes.
C'est un peu étourdis que nous ressortons de ce musée
en nous disant que c'est aussi cela la littérature, le refus de croire en
ces moments définitifs.
Notons que Yoko Ogawa, dans son dernier recueil Une parfaite chambre de malade, excelle dans un autre domaine, celui de la nouvelle.
Isabelle Bossard
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