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Yves Bonnefoy 2

Publié le 03/11/2003
Présence d'un poète

Nous recevions, le 27 novembre 2003, Yves Bonnefoy , ce qui est une forte nouvelle en soi pour qui peut mesurer la grandeur de son œuvre commodément classée au rayon Poésie ou au rayon Art mais dont la pensée se mesure à l'aune de la philosophie. Certes, il n'est pas usurpé de considérer Yves Bonnefoy comme poète Son attirance vers les surréalistes fut un premier pas vers l'écriture automatique dont il s'éloigna bien vite. Un voyage en Italie en 1953 lui permit d'approcher les chefs-d'œuvre de la peinture, de l'architecture et de la sculpture, évènement que ses commentateurs ont jugé déterminant pour la suite de ses écrits.

Je souhaite à tout un chacun d'avoir pu, malgré le temps, malgré le monde, se rendre à cette conférence, pour tout dire exceptionnelle, ne serait-ce que par la présence même du grand homme dont je ne pourrais affirmer qu'à grand peine, si j'avais à lui parler, tant la confusion déborderait de chacune de mes phrases, qu'il a révolutionné ma vie et me l'a faite considérer, avec résolution, comme une expérience infiniment précieuse, profonde et complexe et que s'il m'avait fallu des années pour comprendre l'exactitude de certains mots qu'il avait pourtant maintes fois prononcés ou écrits, quelques secondes avaient suffi pour sentir l'ampleur et l'aspect décisif d'une pensée qu'il dispensait vers autrui, moi en l'occurrence, comme une magistrale leçon d'incitation poétique.

C'est ainsi, avec ces Entretiens sur la poésie réédités en 1992 au Mercure de France que je découvrais, avant même ses poèmes, la force irréductible du poète Yves Bonnefoy. J'avais tôt fait d'établir un culte autour de sa personne, son livre m'avait épuisé, je me revendiquais de lui tout en ayant la conviction que ce n'était là qu'un début, qu'il me fallait, par exemple, me rendre au plus vite auprès des toiles de Nicolas Poussin dont il m'avait convaincu que là se trouvait l'exemple même de "la Présence", de "l'expérience de l'instant, dans sa plénitude sans mémoire" - "Il n'y a pas d'immédiat, il n'y a que ce que nous rejoignons ensemble". Aussi, recherchais-je fébrilement cet Arrière-pays publié en 1972 que les éditions Skira avaient épuisé sans lendemain. Nous devons aujourd'hui la récente réédition de ce livre important (en cadeau d'anniversaire ? Monsieur Bonnefoy vient de fêter ses quatre vingt ans) à Jean-Louis Champion des éditions Gallimard qui l'a pris dans sa collection intitulée Art et artistes et qui constitue une possible entrée à cette œuvre manifestement multiple.

Je tiens ce livre désormais en ma bibliothèque, je l'ai lu d'une traite, ou presque (il me faudra le relire), mais je ne puis cacher l'envoûtement subit que je reçus à la vue du détail illustrant sa couverture tiré d'un tableau de Piero della Francesca (le revers du volet gauche du diptyque du Duc d'Urbin nommé le triomphe de Battista Sforza) évoquant ce chemin que l'on n'a pas pris, au carrefour, et qui ne conduisait pas à un pays autre.

"Je garde en mémoire cette inquiétude du voyageur troublé de ne pas avoir pris une voie qui déjà s'éloigne et qu'il n'a pas prise et qui ouvrait un pays d'essence plus haute où il aurait pu aller vivre et que désormais il a perdu" : ainsi commence cette fièvre introspective sise dans L'Arrière-pays et qui se poursuit au contact de souvenirs, la plupart italiens, d'œuvres picturales et de paysages constituant la chair non seulement du texte à venir mais aussi celle de l'écrivain, du poète, du penseur et peut-être encore du traducteur puisqu'il y a dans sa bibliographie des versions d'Hamlet, du Roi Lear , de Roméo et Juliette de McBeth mais aussi de Quarante-cinq poèmes de Yeats ainsi qu'un livre sobrement nommé Keats et Léopardi .

Il est heureux pour moi de pas avoir à rendre complètement compte de tout ce chemin éprouvé par une fervente exigence, j'ai préféré à l'exercice un peu vain de la célébration mettre une part plus intime qui déterminerait mon approche de l'auteur et que j'aurais pu titrer malignement "mon Bonnefoy" créditant la sincérité de mon élan vers une pareille sommité qui foulera la moquette des salons Albert-Mollat qui en a pourtant vu d'autres mais à ce point, j'en doute.

Avec le temps, mes lectures d'Yves Bonnefoy me sont devenues, elles aussi, comme la preuve formelle d'une démonstration, un lumineux souvenir, ses poèmes de 1947 à 1975 publiés dans la collection de poche Poésie Gallimard que je me suis mis à lire à la suite de ses entretiens, ont renforcé non pas ma compréhension d'une œuvre parfois trop haute pour moi mais la conviction d'être en présence d'une poésie contemporaine rare et intense.

Yves Bonnefoy ne réclame pourtant aucune hagiographie, des éclaircissements sans doute dont j'aurai pris peine d'en livrer quelques-uns mais que d'autres amateurs éclairés pourraient développer plus encore. Plus nécessaire sera d'apporter des notices bibliographiques qui permettront de se repérer dans l'œuvre et des livres, bien sûr, qui seront présents en fonction de leur disponibilité et qu'il nous sera bien plaisant d'en faire étalage.

François Boyer

 

Bibliographie : une sélection [voir]