Un coup de coeur de Mollat
Un couple de scientifiques, le professeur Akemi Kirino, physicienne d’origine nippo-américaine, et son mari, le professeur Evan Wei, historien sino-américain spécialiste du Japon, on conjointement mit au point un procédé permettant à tout un chacun de revivre les événements du passé, quel que soit l’époque et le lieu, afin de s’en faire le témoin oculaire et d’apporter un éclairage nouveau sur les pans les plus obscures de l’histoire humaine. À l’origine de leur démarche, la volonté de mettre en lumière les atrocités commises par l’Unité 731, détachement pseudo-scientifique de l’armée japonaise qui mena, durant la seconde guerre mondiale, des expérimentations sur les populations chinoises asservies, dont la cruauté n'avait rien à envier à celles pratiquées par le docteur Mengele entre les murs du camp de concentration d’Auschwitz. Animés par une conviction inébranlable dans l’importance du travail de mémoire, non seulement par égard pour les victimes et leur famille, mais plus largement dans une perspective universelle, ils ne vont pas tarder à se heurter au déchaînement des passions qu’accompagnent généralement l’exhumation des histoires longtemps passées sous silence.
L’originalité de ce récit réside notamment dans sa forme. Sous-titré « un documentaire », L’Homme qui mit fin à l’histoire se construit bel et bien à la façon d’un reportage télévisuel, multipliant les interviews d’intervenants fictifs selon un ordre particulier, donnant l’illusion qu’elles se répondent l’une à l’autre. L'auteur a même pris soin d’insérer, à la manière des didascalies dans le théâtre, diverses indications se rapportant à la réalisation du « documentaire », mouvements de la caméra, zooms et descriptions des plans projetés à l’attention du téléspectateur/lecteur.
Les témoignages des protagonistes à l’origine du projet se mêlent à ceux des victimes et bourreaux, des journalistes et des politiciens, des historiens, des scientifique et des témoins ayant acceptés de se prêter à l’expérience. Grâce à cette pluralité de points de vue, Ken Liu parvient à nous faire saisir les enjeux et la difficulté du travail de mémoire, menacé à chaque instant par le spectre pernicieux du négationnisme, propagé par ceux qui ont intérêt à ce que les blessures du passé, jamais cicatrisées, demeurent dissimulées sous les bandages grossièrement appliqués à leur surface, et qui ont virés depuis belle lurette du blanc au rouge carmin.
Un roman riche et captivant, dont la réflexion se prolonge bien au-delà de la lecture. Tout ce que l’on est en droit d’attendre d’un bon ouvrage de science-fiction.
Nicolas.