En découdre pour reprendre le pouvoir

« Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail. Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. » Projet de loi dit « Travail », article 1^er.

Le début de la loi contre laquelle des centaines de milliers de citoyens sont mobilisés depuis le mois de mars résume la logique qu'elle porte : au moins 8 heures par jour, nous devrions abdiquer nos droits fondamentaux pour le « bon fonctionnement » de la production capitaliste. Cette frontière entre le monde libre et le monde autoritaire de l'entreprise existe depuis très longtemps, mais elle avait été repoussée plus loin par les conquêtes sociales de nos anciens, celles de 1936, de 1944, de 1968, qui avaient fait en sorte que notre dignité de citoyens soit mieux respectée sur notre lieu de travail. Le gouvernement de Valls et Hollande a décidé de tirer un trait sur un siècle de progrès social et de redonner au patronat et aux actionnaires leur droit total à régir l'existence des salariés : étendre leur temps de travail, imposer leurs horaires, faciliter les licenciements pour les rendre plus dociles, limiter le pouvoir de leurs syndicats...

Les éditorialistes de l'élite et les grands partis soutiennent cette loi et sa logique comme jamais, n'hésitant pas à comparer les travailleurs en lutte aux terroristes de Daech (édito du magazine Le Point daté du 1^er juin). Ils font bloc autour du projet libéral d'une société davantage soumise à la concurrence et entièrement dédiée à l'augmentation des profits de quelques-uns. La loi Travail constitue un cap décisif dans la marche de notre pays vers cette utopie capitaliste. C'est pourquoi des centaines de milliers de personnes se sont levées contre cette loi-là, remettant sur le devant de la scène le bon vieux conflit de classes que nos élites avaient tenté durant des décennies d'enterrer au profit d'un prétendu conflit identitaire et religieux, nettement moins défavorable à leur portefeuille.

Pour empêcher la contestation d'un système où la majorité est toujours perdante, nos dirigeants ont érigé un mur idéologique consistant à dire que, quoi qu'on en pense, ce système est le seul possible. Or, ce mur voit s'ouvrir ses premières brèches depuis la faillite des régimes communistes car, pour la première fois depuis longtemps, un mouvement défensif dispose d'outils de réflexion pour construire une alternative à la logique de ce qu'il combat et donc mener une contre-offensive : les Nuit Debout qui ont essaimé partout en France ont ainsi contribué à la discussion sur ce que pourrait être l'inverse du monde de la loi Travail. Un monde où les droits et les désirs du citoyen ne s'arrêtent pas à l'entrée de l'entreprise mais y pénètrent pour en redéfinir les objectifs. Un monde où ce n'est plus une fédération minoritaire de patrons qui définit la loi mais où une démocratie réelle s'impose. Un monde où la production de biens et de services prend en considération l'état de notre planète.

Si les Nuit Debout n'ont pas encore réussi à faire ce qu'on attendait d'elles - définir les contours du monde de la démocratie -, si le mouvement social n'a pas encore mis fin au capitalisme, une chose est sûre : l'année 2016 marque le début de la fin de notre soumission collective à un seul horizon possible.

C'est pour encourager et alimenter ce mouvement collectif vers la définition d'un autre système politique, social et économique que nous avons conçu ce numéro 7. Fidèle à notre volonté de clarté et d'accessibilité, il est à mettre entre toutes les mains. Amis, parents, collègues, à eux et à vous, tous ceux qui doutent qu'un autre monde est possible mais qui espèrent qu'un jour un autre partage des richesses et du pouvoir partout s'imposera.