Un coup de coeur de Jean-Baptiste G.
C'est toute l'épopée de la famille Melekhov que nous suivons au fil des pages de ce roman-fleuve. Véritable fresque historique, cette œuvre colossale dresse le portrait sincère d'une société réduite en morceaux par la Grande guerre de 1914 et la guerre civile, une société qui voit en quelques année les fils et les pères s'entretuer, les voisins se dresser les uns contre les autres et les amis d'hier devenir des ennemis jurés. C'est un temps de guerre totale, un temps de héros au sens propre du terme qui fraternisent et se déchirent au gré des circonstances, un temps où la propagande et les slogans idéologiques se déclamaient tels des vers homériques, où les idées et les mots étaient aussi affûtés et mortels que des lances.
Enfin, Le Don paisible est un texte étonnant de liberté pour l'époque soviétique. Il charrie une multitude d'instants de vie, de senteurs, de sensations et de tableaux de cette nature sauvage de la steppe et d'une vie aux antipodes de l’idéale bolchevique. On suit le destin de chaque personnage dont la vie est emportée par le torrent implacable de l'histoire : on s'agace autant qu'on s'émeut des amours perdus et impossibles d'Aksinia et de Grigori, on rit des accès de fureur comiques du vieux Panteleï, on se prend de sympathie pour le bolchevique Bountchouk et on frissonne devant la raideur implacable et le fanatisme d'un Michka Kochevoï. Finalement, ce que nous raconte Le Don paisible c'est la vie des derniers cavaliers de la steppe, des fils du Don, de ces hommes insolents qui défiaient en leur temps l'empire de Russie par le sabre et à dos de chevaux, de ces cavaliers qui, il n'y a pas si longtemps, se targuaient de parler en ces termes aux puissants : "Dieu te garde, Tsar blanc, dans ton Moscou de pierre et nous autres, Cosaques, sur le Don paisible !" (p.660)