Un coup de coeur de Isabelle P.
Rémi Bordes fait partie de cette génération d'ethnologues pour qui la compréhension d'une société passe par l'expérimentation de la vie au sein même de cette société, une façon en quelque sorte de faire entrer le savoir directement dans l'épiderme. Aussi, accepte-t-il d'être scruté, lui qui vient pour observer, tout d'abord au sein d'une famille de brahmanes, puis au plus près de musiciens membres de la caste des intouchables. La notion de temps est un élément central du livre: c'est elle qui permet de prendre tout d'abord la mesure de l'éloignement spatial et culturel mais aussi de pouvoir être accepté, voire banalisé, si ce n'est intégré. Rémi Bordes prend donc le temps: le temps de vivre au rythme des personnes qui l'entourent (malgré les contraintes de la thèse qu'il doit rendre), de tomber malade (les visites auprès de yogi sont aussi cocasses que riches d'enseignement), de tomber amoureux aussi, de se familiariser enfin, pour dépasser le simple attrait de l'exotisme et éprouver le quotidien. "Au-delà de l'action concrète, je me mis à approfondir ce que je n'avais que trop délaissé: une adhésion à ce qui m'entourait. Avec des questions certes, que je n'abandonnais pas, mais aussi avec de la chair, des amitiés, des inimitiés. Loin de la prudence du savant."
Il est peu étonnant que la référence qui apparaisse dans le livre soit celle du livre de James Agee, Louons maintenant les grands hommes, tant la démarche de Rémi Bordes en est proche. "Qu'apprend-on à vrai dire? Que sait-on de plus lorsqu'on passe dix ans à étudier une microsociété qu'on ne sache pas déjà au bout de quelques semaines? Pas grand chose, au fond hormis un sens de la patience. Le chemin des humbles."